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  • Like a Dragon : un nouveau départ 15 ans plus tard, partie 2

    By DonBear
    Published in Coulisses
    March 20, 2024
    42 min read

    Toshihiro Nagoshi est un créateur à succès chez SEGA. Au moment où les consoles prennent le pas sur l’arcade, il décide de créer un jeu qui change les règles. Lui cherche à atteindre le grand public, les adultes qui ne jouent pas aux jeux vidéo. Il s’entoure d’une équipe de choc et réussit son pari fou. Par la suite, les développeurs vont adopter une méthode leur permettant de sortir un jeu par an, un rythme aussi effréné que payant : chaque jeu est un succès. Masayoshi Yokoyama, le principal scénariste, continue d’apporter un regard critique sur la société japonaise actuelle. Chaque jeu est plus ambitieux que le précédent, et quand Yakuza 3 sort, la formule est rodée.

    CHAPITRE 4 : PLUS ON EST DE FOUS, PLUS ON RIT

    Après le succès des trois premiers Yakuza, il faut continuer à innover et ne pas trop se reposer sur ses acquis. Comme le dit Nagoshi, il veut surprendre les joueurs. Quand on lance Yakuza 4, on s’attend à retrouver Kiryu, comme d’habitude. Sauf que non, on découvre un nouveau personnage, Akiyama. Bien sûr, ça ne sera pas la seule surprise, puisqu’on incarne cette fois 4 personnages différents. Un choix qui s’explique par les doutes que ressent Toshihiro Nagoshi. Il craint que sa tension créative ne soit plus la même qu’avant, lui qui refusait auparavant de bosser sur des suites. Le studio va alors proposer un sondage au joueur pour décider de la direction que doit prendre la série.

    « Les retours des joueurs étaient toujours un peu les mêmes. “S’il vous plaît, prenez ce quartier-ci comme cadre” ou “Si vous faites de Goro Majima le héros du jeu, peu importe que vous le vendiez à un million de yens, je l’achèterai quand même ! ” Un million de yens ? Je n’y croyais pas vraiment. » Toshihiro Nagoshi

    Rien de très concluant donc, et le créateur décide alors, un peu paradoxalement, de revenir aux fondamentaux : la pègre et plus globalement le monde caché, que le grand public côtoie mais ne voit pas. C’est pour ça qu’il n’y a qu’un seul lieu dans Yakuza 4, Kamurocho. Mais un Kamurocho pimpant, rempli de nouveautés. Et surtout, vécu par quatre points de vue différents. Chacun des personnage aborde une thématique différente : l’histoire d’Akiyama parle du rejet et du manque d’aide envers les démunis, celle de Saejima montre les problèmes de corruption dans le système pénitentiaire, et celle de Tanimura parle des immigrés clandestins. Et bien sûr, le meilleur pour la fin, Kiryu.

    Ecrire un scénario constitué de quatre personnages principaux, c’est pas une mince affaire. Yokoyama doit adapter sa façon d’écrire à ce nouveau format, parce qu’il faut créer un rythme cohérent, laisser suffisamment de place à tous les personnages, et rendre le tout compréhensible. Autant dire que ça lui a créé quelques tracas :

    Dans la partie d’Akiyama, nous avons fini par inclure plus que ce que nous avions prévu, donc quand la partie de Saejima a été terminée et que ce n’était censé être que la moitié du jeu, nous avions largement dépassé ce qui était prévu. Nous avons dû accélérer la partie avec Tanimura pour rattraper le coup, et ajuster la partie avec Kiryu pour l’intégrer au chapitre final. Yokoyama

    Akiyama, le premier personnage qu’on incarne, est inspiré de Ryu Saeba, qu’on connaît chez nous sous le nom de Nicky Larson. Tout comme lui, se cache derrière la légéreté et l’humour d’Akiyama un passé sombre et l’envie d’aider son prochain. En un sens, il est très proche de Kiryu : lui aussi vit selon de fortes valeurs morales. Et si sa voix vous dit quelque chose, c’est normal : celui qui l’interprète n’est autre que Koichi Yamadera, dont on connaît la voix grâce à Spike dans Cowboy Bebop, Doflammingo dans One Piece, ou encore Beerus dans Dragon Ball Super. Pour Saejima, Yokoyama s’inspire de Kankuro Kudo, un scénariste pas très connu par chez nous mais très populaire au Japon. Et pour le dernier, Tanimura, il s’inspire clairement de John Woo et plus largement du cinéma Hong Kongais.

    D’ailleurs, vous avez peut-être remarqué une différence entre le Yakuza 4 original et le remaster. Tanimura a pas la même tête, et la raison derrière ce changement est plutôt…controversée. En décembre 2016, l’acteur Hiroki Narimiya, qui prête ses traits à Tanimura, est accusé par le magazine FRIDAY d’avoir pris de la coke, du cannabis et de la kétamine. Le magazine s’appuie sur une photo et sur les dires d’un prétendu ami pour étayer son accusation, mais vous en conviendrez, y a pas vraiment de quoi en tirer des conclusions claires. L’agence de l’acteur s’est donc empressée de réfuter les dires du magazine et de faire un dépistage, qui s’est révélé négatif. Mais au Japon, la consommation de drogue est jugée très sévèrement, que ce soit par la justice ou la population. Malgré le fait que l’histoire se termine sur un non lieu, la réputation de Narimiya est gravement entachée et il décide de mettre fin à sa carrière. C’est donc pour ça qu’on ne retrouve pas ses traits dans le remaster de Yakuza 4, remplacé par Toshiki Masuda. Le pire, c’est que la même histoire va se reproduire avec un acteur jouant dans Judgement, qui subira par ailleurs le même sort que Narimiya.

    Pour en revenir au jeu en lui-même, les personnages ont été écrits d’une manière assez originale. Vous vous rappelez pour le premier Yakuza, quand Yokoyama s’est pointé à la réunion avec un arbre présentant les personnages ? Et bien, Yakuza 4 a été écrit entièrement comme ça. Plutôt que d’écrire un synopsis résumant globalement l’intrigue et ensuite les dialogues, Yokoyama et son équipe ont directement écrit les dialogues. En gros, pas de fil de rouge, un scénario qui s’écrit au fur et à mesure, en se basant uniquement sur les rapports entre les personnages.

    Si vous me demandez pourquoi nous procédons ainsi, c’est parce qu’à mon sens un synopsis ne suffit pas à correctement retranscrire la personnalité d’un protagoniste. Prenez par exemple Shun Akiyama […]. C’est le type de personne qui peut parler de rien pendant des heures, ce trait résume sa personnalité. Si nous lisons un résumé de l’intrigue où ses répliques n’apparaissent pas, nous perdons ce charme. Yokoyama

    Sauf que, créer 4 personnages, c’est créer 4 types de gameplay différent. Bon on est d’accord, les bases restent les mêmes, mais il faut apporter des nuances et associer un style de combat à chaque personnage. On a donc Akiyama qui représente la vitesse, Saejima la force, Tanimura la technique et Kiryu les trois en même temps, tout en étant moins bon dans chaque domaine. Pour en arriver là, ça a été compliqué pour les équipes.

    Ils testaient les prises pour vérifier si celles-ci fonctionnaient réellement. On voyait le staff faire de la lutte dans les couloirs du bureau et on se disait : “Ah, ils bossent bien !” Nagoshi

    Yakuza 4 sort le 18 mars 2018 au Japon, et le succès est une nouvelle fois au rendez-vous. C’est d’ailleurs l’épisode avec les meilleures ventes la première semaine derrière le tout dernier qui a tout explosé. Même s’il est loin derrière le million d’Infinite Wealth, il s’est quand même vendu à 383 000 exemplaires en une semaine ! Et encore à l’heure actuelle, c’est un des épisodes qui s’est le plus vendu. Et heureusement d’ailleurs, car la suite n’est pas de tout repos pour le studio…

    CHAPITRE 5 : TOUJOURS PLUS HAUT, TOUJOURS PLUS GRAND

    Après la sortie de Yakuza 4 arrivent beaucoup de changements : déjà, le studio change de nom et devient le Ryu Ga Gotoku Studio, qui s’appelait jusque là Amusement Vision, un petit troll de Nagoshi parce que les initiales AV au Japon correspondent à Adult Video. En tout cas, ce nouveau prouve la forte identité de la série et son importance dans le catalogue SEGA. Dans ce nouveau studio, des personnes partent tandis que d’autres montent en grade : Kikuchi, jusque là producteur et à qui on doit quand même l’existence d’Haruka, décide d’arrêter l’aventure. C’est Yokoyama qui prend sa place, tout en gardant son rôle de scénariste. Il est aussi nommé coréalisateur sur Yakuza 5, avec Kasokawa qui était jusque là directeur artistique. Quant à Nagoshi, le créateur, il devient CPO en 2012 de SEGA, lui laissant moins de temps pour s’occuper de la gestion du studio. A ce rôle là, c’est Daisuke Saito qui prend sa place. Une nouvelle génération de développeurs arrive, les rôles changent, le studio évolue. Néanmoins, la majorité du coeur de l’équipe depuis Yakuza 1 est toujours présente, et occupe maintenant des postes clés au sein du studio.

    Ceci dit, il y a bien besoin de sang neuf, parce que Yakuza 5 demande un gros temps de développement : les équipes veulent mettre le paquet et créer leur plus gros jeu. Alors en attendant, ils sortent d’autres jeux, notamment Dead Souls et Binary Domain. Le premier marche plutôt bien, surtout lorsqu’on prend en compte que la période est tragique au Japon après le séisme de Tohoku. On parle ici d’un séisme de magnitude 9.1 ayant engendré un tsunami avec des vagues allant jusqu’à 30m de haut. Le bilan est lourd : 600km de côtes ravagées et plus de 18 000 morts ou disparus. C’est presque un miracle que le jeu se soit relativement bien vendu avec une campagne marketing très complexe, avec en plus des critiques très moyennes qui viennent entacher le parcours sans faute de la licence jusque là. Binary Domain recoit des critiques plus élogieuses, mais le TPS orienté action n’intéresse pas grand monde. Yakuza 5 doit replacer l’église au centre du village, ou disons plutôt qu’il doit redorer un blason quelque peu malmené au début des années 2010.

    Réussir cet exploit, ça commence déjà par changer de moteur graphique. Pour résumer grossièrement, la série des Yakuza a été développé jusqu’à maintenant sur trois moteurs différents : les deux premiers utilisent le même moteur qui n’a pas de nom, arrive ensuite le Magical V Engine utilisé pour les jeux sortis sur PS3, un changement de moteur s’opère à partir de Yakuza 5 jusqu’à Kiwami 1, puis on arrive au moteur toujours utilisé à l’heure actuelle, le Dragon Engine. Mais on y reviendra quand on parlera de Yakuza 6. Bref, nouveau moteur donc, qui permet certes une amélioration graphique, mais c’est pas là le principal intérêt. Parce que l’évolution n’est pas non plus au point de tomber de sa chaise : globalement, c’est assez proche visuellement. Non, l’intérêt c’est surtout au niveau des transitions plus rapides et du volume de jeu que permet ce nouveau moteur. Yakuza 5, c’est la démesure, qui doit dépasser tout ce qui a été fait jusque là. Ca signifie donc cinq personnages principaux, et cinq lieux différents dont trois jamais modélisés auparavant.

    Pour choisir le cadre des aventures, les équipes vont se tourner vers ceux qui en profiteront : les joueurs. Via un sondage en ligne laissant le choix entre Osaka, Nagoya, Fukuoka et Sapporo, ce sont donc les joueurs qui choisissent quelle ville sera à l’honneur. C’est Sapporo qui récolte le plus de vote, probablement parce qu’elle détonne avec le reste grâce à son manteau de neige peu courant au Japon.

    Sauf que finalement, Sapporo n’est pas l’unique vainqueur du sondage, puisque les développeurs décident d’intégrer toute les villes, avec en plus l’incontournable Kamurocho ! En fait, ce choix cherche à revenir à ce qui avait fait le succès du 2e et 3e opus : créer une sorte de tourisme vidéoludique. Il faut savoir qu’au Japon, les spécialités locales et le tourisme culinaire motive énormément de Japonais à voyager d’une région à l’autre. Et depuis le Covid, qui a foutu un sacré coup au tourisme puisque le pays a totalement fermé ses frontières à ce moment là, le gouvernement japonais mise à fond sur le tourisme intérieur. Les jeux Yakuza, en proposant des répliques virtuelles de villes réelles, y contribue à sa petite échelle. Par exemple, les sculptures de glace qu’on peut voir à Sapporo prennent réellement forme dans le monde réel lors du festival des neiges. Le réalisme est le maître mot du jeu, et s’insère même dans le moindre détail. Par exemple, les vêtements changent en fonction des modes dans chaque région. Bien sûr, ça nécessite un énorme travail de recherche, à une échelle incomparable avec ce qui se faisait pour le premier Yakuza.

    Comme on l’a vu déjà à plusieurs reprises, le réalisme ne se situe pas que dans la reconstitution, mais aussi dans le traitement de sujets sociétaux. Dans ce cinquième opus, une partie assez importante du jeu met Haruka et sa carrière d’idol en lumière, pile poil au moment où la carrière d’AKB48 décolle dans le monde réel. On y voit certes l’évolution de l’enfant qu’on côtoie depuis le tout premier Yakuza, mais on y voit surtout une industrie corrompue jusqu’à la moelle, de faux semblants, de compétition toxique et de comportements vraiment problématiques. D’ailleurs, tous les mini jeux décrivent des situations existant réellement dans la carrière d’idol, comme les événements où elles serrent la main de leurs fans. Sauf que le développeur en charge de ces mini jeux avait fait quelque chose de très réaliste, et donc un peu trop complexe. Ces mini jeux finissent par être simplifiés pour apporter un juste milieu entre réalisme et accessibilité niveau gameplay.

    Niveau gameplay d’ailleurs, il y a un gros ajout intégré dans ce cinquième épisode : les Another Drama. Devenus depuis totalement intégrés à chaque nouveau jeu, les Another Drama sont des arcs narratifs secondaires qui ajoutent souvent un gameplay spécifique. Elles durent souvent plusieurs heures, si ce n’est plusieurs dizaines d’heures et s’insèrent comme des histoires décorrélées du scénario principal. Dans le 5, on a l’histoire de Kiryu face au gang de chauffards qui introduit les courses de voitures, et l’histoire de Saejima face au Yama-oroshi qui introduit la chasse. Depuis, dans chaque épisode, on a ces histoires situés entre la suite de quêtes secondaires et l’histoire principal, qui vont même jusqu’à nous faire oublier le reste du jeu.

    « Je m’occupais du scénario annexe de Shinada, où il s’agit essentiellement de baseball et dans lequel il n’y a pratiquement aucun yakuza, donc je n’avais même plus l’impression de travailler sur un Yakuza ! » Takeshi Tanaka, responsable de la partie « aventure » du jeu. Takeshi Tanaka, responsable de la partie aventure de Y5

    « À cette époque, ce qui était indiqué dans notre planning, c’était plutôt : réunion de deux heures sur les idols, réunion sur les ours à partir de dix-huit heures… » Ryosuke Horii.

    Yakuza 5 sort le 5 décembre 2012 au Japon, brisant la règle de la sortie annuelle. C’est le premier jeu de la licence à sortir plus de 2 ans après le précédent, et comme on l’a vu, ça s’explique par la démesure du jeu. C’est encore une fois un énorme succès, critique comme commercial. Avec ses 356 000 ventes en une semaine, Yakuza 5 fait un excellent départ. Mais après avoir fait le jeu le plus ambitieux de la série, comment rebondir ?

    CHAPITRE 0 : MACHINE A REMONTER LE TEMPS

    Plutôt que d’aller dans le toujours plus grand, les développeurs décident d’apporter un nouveau vent de fraicheur en partant cette fois dans le passé. Au lieu d’apporter un regard sur la société actuelle, le prochain Yakuza montrera une époque révolue : la bulle économique des années 80. Sans rentrer dans le détail, on va simplifier en disant juste qu’elle est grandement du à l’augmentation des prix de l’immobilier. Les yakuzas, flairant le bon plan, sont rapidement devenus des promoteurs, ce qui n’échappe pas aux yeux avisés des développeurs qui en font le point de départ de l’histoire. Une période assez unique au Japon donc, où l’argent coule à flot. L’occasion pour le studio d’orienter le jeu autour de trois sujets : l’argent, la violence, et les femmes.

    Pour l’argent, ça se voit dès l’introduction avec les salarymen qui appellent des taxis avec des liasses de billets à la main. Mais même en temps que joueur, on débourse sans compter : c’est sans doute l’épisode où j’ai été le plus riche, avec des sommes mirobolantes grâce aux jeux de gestion de cabaret et d’agence immobilière. En fait, les développeurs utilisent intelligemment le gameplay pour nous faire ressentir cette opulence : on monte de niveau avec de l’argent, on dépense des sommes astronomiques tout au long du jeu, chaque fin de chapitre fait des comparaisons absurdes, et on peut même jeter de l’argent par les fenêtres pour distraire les ennemis.

    Le deuxième thème, la violence, se remarque tout au long de l’histoire : Yakuza 0 est l’un des jeux les plus violents de la série. C’était jusque là assez rare de voir des cadavres, alors qu’ils s’entassent dans celui-ci. Encore une fois, cette violence n’est pas gratuite : elle dépeint une époque où les yakuzas étaient plus violents que jamais suite à des histoires de succession dans l’un des plus gros clans du Japon. Les trois plus violents dans Yakuza 0, autrement dit les trois lieutenants du clan Tojo qui seront les principaux antagonistes, sont tous incarnés par des vedettes des films de yakuza. Kuze est incarné par Hitoshi Ozawa, qu’on a vu à plusieurs reprises dans les films de Takashi Miike. Awano est interprété par Riki Takeuchi, un pilier dans le cinéma japonais avec pas moins de 170 rôles à son actif. Et le dernier, Shibusawa est joué par Hideo Nakano, un autre acteur prolifique des films sur les yakuzas. Un trio marquant, sans doute l’un des plus marquants de la série, qui doit sans aucun doute son aura aux acteurs qui prêtent leurs traits et leurs voix.

    « Je crois que Yakuza 0 illustre bien l’importance d’attribuer les bons rôles aux bons acteurs. Les choses ne fonctionneraient pas si nous n’avions pas Hitoshi Ozawa, Riki Takeuchi et Hideo Nakano. Le joueur n’a pas besoin de savoir grand-chose à leur sujet, mais le simple fait de voir Kiryu côtoyer ces trois-là nous fait dire : “Ça y est, Kiryu est devenu célèbre !” » Yokoyama

    D’ailleurs, puisqu’on parle de Yokoyama, il n’écrit plus seul cette fois grâce à l’assistance de Tsuyoshi Furuta, à qui l’on doit déjà les scénarios de Dead Souls et Binary Domain. Furuta devient peu à peu le scénariste principal du studio, Yokoyama étant occupé avec son role de producteur en chef. Par la suite, il va co-écrire Yakuza 6 avec Yokoyama, et va même signer le scénario de Judgement. Pour Yakuza 0, le scénario va cette fois être écrit différemment de d’habitude : la fin est le premier élément à être écrit, et tout le reste découle de cette fin. Ceci étant dit, pour une préquelle, ça paraît pas être si déconnant que ça.

    Bref, reste encore le troisième thème du jeu, les femmes. Ce qui me semble être le bon moment pour aborder un sujet un peu problématique tout au long de la série, à savoir la place des femmes. Dans la plupart des épisodes, les femmes sont relayées au second plan, et même lorsqu’elles sont mises en avant, elles finissent par devenir le love interest du personnage principal. Like a Dragon fait un peu mieux à ce niveau là, mais ça reste quand même pas dingue, les femmes sont souvent très stéréotypées et simplement là en soutien. Sayama dans Yakuza 2 est un personnage intéressant au départ, mais devient simplement le love interest de Kiryu et se retrouve vite placée au second plan, avant de carrément disparaître dès le jeu d’après. En soi, je trouve ça dommage, mais je pourrais le comprendre, parce que les jeux Yakuza cherchent à dépeindre la société japonaise telle qu’elle est, et les mœurs sont bien différentes de chez nous.

    Le monde des yakuzas est majoritairement composé d’hommes, même si une femme a dirigé l’un des plus gros clans pendant une dizaine d’années. Même si la justification ne convaincra pas tout le monde, je trouve personnellement que ça peut s’entendre, parce qu’elle s’ancre dans une démarche de reconstitution. Là où ça s’entend beaucoup moins par contre, ce sont les mini jeux terriblement cringes. C’est de nouveau totalement dans la lignée des jeux qui intègrent des gens connus, en plus de surfer sur cet aspect très loufoque qu’on retrouve nulle part ailleurs. Ca s’inscrit totalement dans cette politique du « politiquement incorrect » qui arrive après le succès de Yakuza 0 en Occident, mais ça tombe aussi largement dans la gratuité la plus totale, voire à la limite de l’obscénité. La représentation de la femme dans les oeuvres japonaises est souvent réduite à du charme à outrance : que ce soit dans le jeu vidéo ou le fan service dans les animes, c’est souvent bas du front, ou plutôt sous la ceinture, et ça ne s’en cache pas. Je trouve ça dommage qu’une série aussi ancrée dans le réel que Yakuza et avec tant de messages humanistes ne cherche pas à faire mieux de ce côté là. Fin de la parenthèse, revenons à Yakuza 0.

    Donc dans Yakuza 0, les femmes sont partout, mais toujours pour faire plaisir aux hommes. Exception faite de Makimura, la plupart des femmes qu’on rencontre sont des hôtesses, des mannequins, des masseuses, des maitresses SM, et autres rôles sexualisés. Yakuza 0 est le premier jeu qui engage des actrices de films de charme. Et pas qu’un peu d’ailleurs, puisqu’on parle de plusieurs dizaines. Les femmes sont aussi au centre du mini jeu de cabaret, mais sont encore une fois résumés à de simples outils : on apprend certes à les connaitre via quelques quêtes secondaires, mais tout le temps passé à les pomponner ne sert en réalité qu’à accumuler toujours plus d’argent. Une vision triste, mais réaliste des cabarets au Japon.

    Mais Yakuza 0, c’est aussi l’un des épisodes les plus déjantés. Yakuza 5, malgré quelques à cotés sympathiques, restait relativement sérieux tout au long de son histoire. Là, on a certes un drame vraiment touchant et très prenant, mais on a à côté de ça une tonne d’histoires totalement délirantes et des personnages hauts en couleur. On rencontre Miracle Johnson, on aide Stephen Spining à faire un film, on aide un gamin à récupérer son Arakure Quest 3, référence directe à la sortie de Dragon Quest 3 qui a été un énorme événement au Japon. Parce que malgré son côté délirant, Yakuza 0 cherche toujours à retranscrire les années 80 avec le plus de fidélité possible, même dans ses phases les plus drôles. Enfin, exception faite de certains personnages…euh… pas anodins dirons nous. Mr Libido, Mr Moneybags et la tonne de personnages rencontrés dans les quêtes secondaires ne ressemblent pas spécifiquement aux années 80, mais deviennent des sortes d’icones qui vont largement contribuer au succès du jeu en Occident.

    Yakuza 0 sort le 12 mars 2015 au Japon et performe plutôt bien en termes de ventes : un peu plus de 230 000 ventes la première semaine. Un chiffre plus que satisfaisant, surtout si on prend en compte qu’il pulvérise les autres jeux sortis à la même période, mais largement en dessous du précédent Yakuza qui s’était vendu à plus de 350 000 exemplaires sur la même durée. A l’heure actuelle, le jeu s’approche des 500 000 ventes, bien loin du premier Yakuza qui lui est aux alentours de 900 000. Ceci dit, c’est à prendre avec des pincettes, car les chiffres recensées ne prennent pas en compte le dématérialisé, qui est devenu majoritaire et doit donc pas mal changer la donne. Mais le plus intéressant avec Yakuza 0, c’est que c’est le premier épisode à cartonner en dehors du Japon. C’est lui qui fait découvrir la série à de nombreux joueurs. Comment expliquer ce succès, alors que d’autres Yakuza ont déjà atteint l’occident ?

    La première raison, celle qui marqué tout le monde, c’est le côté très memesque du jeu. Yakuza a « submergé » YouTube et les réseaux sociaux à base de contenu viral qui se concentre sur les aspects les plus loufoques du jeu. On pourrait même dire que pendant un temps, Baka Mitai est devenu l’hymne d’internet. Des éléments drôles, qui donnent envie de s’essayer au jeu et de totalement plonger dans l’histoire et tout le reste. D’ailleurs, le studio a bien compris que le succès en Occident provenait majoritairement de cet aspect là, et s’appuie totalement dessus pour chaque nouveau jeu.

    Le deuxième élément qui a permis ce succès, c’est tout simplement le zéro dans le nom. Avant ça, difficile de savoir par où commencer, on avait l’impression de se lancer dans une suite de jeux interminables ou presque. Les premiers jeux ayant dix ans au moment de la sortie du zéro, ils ont mal vieilli, ne sont pas disponibles sur les consoles récentes, bref c’était toute une aventure. En faisant une préquelle, Yakuza devient accessible à tout le monde car on n’a pas besoin de connaitre l’univers pour le lancer, et il est facilement accessible.

    La troisième raison, qui là s’appuie plus sur une hypothèse personnelle, c’est l’arrivée de Yakuza sur PC. On l’a bien vu avec les jeux Sony qui débarquent sur Steam, les joueurs PC représentent une part importante des joueurs. Au Japon, le PC est la plateforme la plus délaissée, et s’il n’est pas majoritaire en Occident, les chiffres Steam comptent malgré tout des millions de joueurs quotidiens. Bien évidemment, ça ne suffit pas à expliquer le succès retentissant du 0 en Occident, mais je suis convaincu que ça a du bien gonfler les ventes.

    Sur Steam, peu nombreux sont les joueurs à lancer un jeu le jour de sa sortie. Cependant, lorsqu’ils y jouent, ils prennent le temps et jouent à fond. J’ai l’impression que, peu importe qu’il s’agisse d’un jeu indépendant ou d’un jeu AAA, ils s’y investissent tant que le jeu est amusant. Je pense que c’est en partie pour cette raison qu’un jeu japonais étrange sur les yakuzas a réussi à décoller. Les utilisateurs étrangers qui ne connaissaient pas la série ont eu l’occasion de l’installer et de l’essayer, et ils l’ont trouvé amusant. Hiroyuki Sakamoto

    Dans tous les cas, ce succès est bien sûr une aubaine pour le studio, qui va donc surfer dessus et proposer un remake du premier Yakuza. Sort donc en 2016 au Japon Yakuza Kiwami, avec ce que ça sous entend en termes d’évolution technologique. Kiwami reprend fidèlement le jeu d’origine, avec des cinématiques quasi identiques à l’original. Mais il ne fait pas que le recopier et ajoute aussi de nombreux contenus. On a pèle mèle de nouveaux mini jeux, des scènes inédites retraçant l’ascension de Nishikiyama au sein du clan Tojo, et surtout, on a Majima, qui tel un Mr X dans Resident Evil 2, surgit de nulle part et semble nous poursuivre constamment. Le système de combat est lui aussi remodelé avec cette fois quatre styles qu’on peut changer à la volée. Avec le succès de Yakuza 0 et les bonnes ventes au Japon, Kiwami perpétue ce second souffle donné à la série.

    Voilà une bonne raison pour faire un remake de Yakuza 2. Celui-ci sort en 2017, autrement dit après Yakuza 6, et change beaucoup de choses par rapport à l’original. Au-delà du fait que le jeu profite du nouveau moteur graphique, le Dragon Engine, le quartier de shinseisho est supprimé et tout les événements qui s’y déroulent se passe à Sotenbori. Et à côté de ça, il y a pléthore de nouveaux contenus, à commencer par les mini jeux dont le fameux Toylet. On retrouve aussi les vidéos avec de vraies actrices, le Nightlife Island et le jeu de gestion à la Yakuza 0 ou encore le Clan Creator à la Yakuza 6. Parmi les ajouts sympathiques, on a quand même le scénario annexe la vérité de Goro Majima qui permet de l’incarner.

    Tout ça c’est bien beau, mais en attendant, l’histoire de Kiryu s’est conclu de manière tragique à la fin du 5e épisode. Ca devait initialement être le chant du cygne du dragon de Dojima, mais finalement Nagoshi décide de lui offrir un ultime épisode, celui qui va marquer beaucoup de joueurs.

    CHAPITRE 6 : LA FIN DU DRAGON

    « À l’origine, je voulais que Yakuza 5 soit le dernier jeu de Kiryu, mais après mûre réflexion, nous avons décidé de lui offrir un ultime épisode » Nagoshi

    Alors que Yokoyama vient de terminer le script de Yakuza 0, il se penche sur le grand final de Kiryu. Plutôt que de lui opposer un problème qu’il peut résoudre par la force, l’idée pour Yakuza 6 est de le confronter à une quête introspective. Yokoyama va voir Nagoshi avec une idée simple : « Kiryu fait un long voyage avec l’enfant de Haruka afin de retrouver le père de ce dernier. » Simple, oui, mais qui ne plaît pas à tout le monde dans l’équipe. Et même la crainte de la réception des fans face à ce scénario semble peser dans l’air. Et pourtant, Yokoyama persiste et signe :

    « S’agissant d’un homme qui n’a pas connu d’amour filial traditionnel, je voulais voir comment il se comporterait en faisant l’expérience d’une “nouvelle vie” qui surgit pour changer la sienne. » Yokoyama

    Le script est donc validé, et nécessite six mois de travail pour une première ébauche. Six mois pour un script, c’est assez long comparé à un épisode classique. Yokoyama et Nagoshi, qui l’aide à l’écriture, veulent s’assurer que le résultat sera à la hauteur en proposant une histoire très différente des précédents. Ils écrivent donc les grandes lignes, avant de laisser Tsuyoshi Furata rédiger le scénario plus précisément, avant de le relire et ainsi de suite. Au final, ces allers-retours vont prendre plus d’un an pour aboutir au scénario qu’on connaît aujourd’hui.

    Un des gros changements par rapport aux trois précédents jeux, c’est que le 6 est entièrement constitué de l’histoire de Kiryu, et des gens qui gravitent autour de lui. On est loin des quatre personnages présents dans Yakuza 4, et des cinq dans Yakuza 5. Un gros changement donc, qui recentre l’histoire sur le dragon de Dojima, et qui change pas mal la façon d’écrire de Yokoyama.

    J’avais pris l’habitude d’écrire plusieurs protagonistes ces derniers temps […]. Il est difficile de montrer tout le caractère des personnages dans l’histoire parce qu’elle n’est pas assez longue. […] Avec celui-ci, en revenant à un seul protagoniste pour la première fois depuis longtemps, je pense que cela m’a permis de dépeindre correctement de nouveaux personnages du point de vue de Kiryu.

    Et l’autre élément capital dans ce Yakuza 6, c’est bien sûr le statut de mère d’Haruka et le jeune Haruto. Gros sujet de discussion au sein de l’équipe, ça a aussi été un gros sujet parmi les fans à la sortie du jeu. Et selon Yokoyama, c’est en réalité une excellente nouvelle, parce que ça prouve la réussite dans quelque chose de fondamental pour la série : créer des personnages attachants.

    On peut dire que nous avons choqué les joueurs avec l’existence de l’enfant d’Haruka, mais ça montre qu’ils ont eu la gentillesse de s’attacher à ces personnages, ce qui est une bonne chose pour nous. Mon point de départ était de montrer le résultat final de tout ce que nous avons construit au cours des dix dernières années. Cet épisode n’a pu être réalisé que parce que la série Yakuza fait vieillir les personnages d’un an pour chaque année qui passe en temps réel, et j’ai décidé que je voulais vraiment représenter ce passage du temps avec précision. Yokoyama

    En plus de la preuve de l’attachement des joueurs envers Haruka, c’est aussi quelque chose qui n’a jamais été raconté dans la série. On a déjà vu Kiryu vivre de terribles événements, être au fond du trou. On a déjà vu Haruka être prise en otage, on a déjà vu Kiryu combattre des organisations entières. Mais être impuissant face au sort de sa fille, s’occuper de ce qu’il considère sans aucun doute comme son petit-fils, c’est là qu’on peut creuser pour dévoiler la profondeur du personnage de Kiryu Kazuma. Ca permet de voir une facette qu’on a jamais vu de lui, de montrer sa maturité, sa souffrance et sa détermination sans que ça ne passe nécessairement par la violence.

    Pour rendre les personnages encore plus vivants, les doubleurs vont faire de formidables prestations. Kuroda, la voix de Kiryu depuis de nombreuses années, a développé un lien fort avec le yakuza virtuel. Pour ce sixième épisode, pour conserver un ton le plus naturel possible, il ne connaît pas le scénario à l’avance : on lui transmet les chapitres au moment de l’enregistrement, et découvre les twists au moment où il les dit à voix haute. Mais tout le monde ne prend pas autant son pied que lui : Hiroyuki Miyasako, l’interprète de Nagumo, a eu un mal fou à apprendre son texte. Nagumo parle le patois d’Hiroshima, avec un accent très prononcé en plus. Alors quand Miyasako doit faire les sessions d’enregistrement, il a tellement du mal qu’il est coaché par des professeurs ! Il réussira heureusement à obtenir un résultat très convaincant, mais non sans mal.

    Et puis bien sûr, notons quand même la présence de Takeshi Kitano, réalisateur connu mondialement pour ses films de Yakuza et sa poésie cinématographique. Si vous n’avez pas vu l’été avec Kikujiro, je vous le recommande chaudement. Faut savoir qu’il s’était déjà frotté au monde du jeu vidéo avec la publication du Défi de Takeshi en 1986. Sauf qu’il ne l’avait pas fait par amour du médium, mais bien pour le moquer : le jeu était affreusement dur, au point il est considéré comme un des pires jeux de l’histoire. Ce qui ne l’empêchera pas d’ailleurs d’être un immense succès avec pas moins de 800 000 copies vendues, probablement du à la popularité de Takeshi Kitano, autrement appelé Beat Takeshi. Et si vous vous posez la question, oui, le château de Takeshi est bien une de ses créations.

    Et pourquoi a-t-il fait un jeu parodique ? Parce que selon ses dires, il déteste les jeux vidéo. Au passage, il déteste aussi les ordinateurs et Twitter. Mais alors, qu’est-ce qu’il fout dans Yakuza 6 à jouer un mafieux sanguinaire ? Tout simplement parce que Nagoshi lui a demandé. Ce sont des camarades de beuveries depuis longtemps, et Nagoshi voulait lui demander depuis longtemps de faire partie de la série sans jamais oser lui demander. Avec la fin de l’histoire de Kiryu, c’était maintenant ou jamais, il a donc tenté sa chance.

    Je n’arrivais pas à y croire. J’avais l’impression qu’il allait me dire : “Je plaisantais, fiston”, et j’ai dû vérifier avec lui encore et encore, du genre : “Tu étais sérieux, hein ?”. J’ai contacté le bureau le lendemain du jour où j’en ai parlé avec lui, et ils m’ont dit qu’il les avait déjà contactés. Sa considération m’a vraiment fait plaisir. Nagoshi

    Résultat des courses : on a droit à un superbe personnage, magnifiquement interprété.

    Ceci étant dit, les acteurs ne font pas tout. Yakuza 6 bénéficie d’une énorme amélioration graphique comparé aux précédents grâce à un tout nouveau moteur : le Dragon Engine. Le premier argument, celui qui saute aux yeux, est bien sûr la reconstitution plus que jamais photoréaliste : tout est beau, presque proche du réel avec un sens du détail impressionnant. Les animations sont plus fluides, et ça se ressent dans les combats. Même si on conserve toujours cette physique de ragdoll avec des ennemis qui voltigent dans tous les sens. La mise en scène de manière globale gagne en qualité, avec des différences beaucoup plus minimes entre les séquences précalculées et celles dans le jeu. Les visages sont plus expressifs, bref, tout est plus beau, plus propre.

    Le deuxième intérêt, c’est la suppression de nombreux temps de chargements qui venaient alourdir le rythme. Avant, le moindre intérieur rimait avec temps de chargement. A partir de Yakuza 6, on leur dit enfin adieu. L’exploration des villes devient beaucoup plus organiques, donnant toujours plus de crédit au réalisme. D’ailleurs, la différence est flagrante entre Kiwami et Kiwami 2. Selon Nagoshi, l’utilisation du moteur est rendue possible par les améliorations techniques apportées par la PS4, mais aussi par le fait que Yakuza 6 soit une exclusivité, en tout cas au moment de sa sortie :

    Alors que l’équipe sur place travaillait d’arrache-pied sur Kiwami, plusieurs membres de l’équipe de programmeurs étaient en train de créer un moteur qui utiliserait au maximum la PlayStation 4. […] En fait, j’ai eu du mal, même après, jusqu’à la dernière minute, à décider si nous devions vraiment arrêter le développement multiplateforme, mais quand j’ai vu la qualité graphique que nous offrait le nouveau moteur, j’ai décidé que nous allions nous contenter de la PlayStation 4. Nagoshi

    Alors, je n’ai pas trouvé de source expliquant précisément ce choix, mais on peut aisément le deviner. Développer sur plusieurs plateformes nécessite de maitriser différentes architectures. Au-delà du fait que le studio a toujours privilégié les consoles de Sony comme support pour leurs jeux, la popularité de la PlayStation 4 et ses caractéristiques techniques expliquent assez logiquement ce choix. Même si, le jeu finira plus tard par sortir sur les autres plateformes et finira même sur le Gamepass.

    Cette amélioration graphique est aussi l’occasion de présenter un tout nouveau décor pour la série : la ville d’Onomichi, dans la région d’Hiroshima. L’idée derrière ce choix d’une ville « entre tradition et modernité » est premièrement d’apporter un vent de fraîcheur à la série. On a surtout vu jusque là des quartiers rouges, des néons, et plus globalement des ambiances très urbaines. Alors oui, il y a bien le village dans Yakuza 5, mais on parle difficilement d’un lieu central dans l’intrigue. En faisant d’Onomichi le lieu principal de Yakuza 6, Nagoshi et ses équipes veulent apporter un contraste avec ce qu’on connaît de la série. Cette nouvelle aventure offre un regard vers le passé, sous-entendu bien sûr par le nom d’Hiroshima très évocateur, mais aussi par l’aspect visuel de la ville :

    En ce qui concerne la raison pour laquelle Onomichi est si favorisée dans les films, je pense que c’est parce qu’on y trouve la nature, mais aussi une atmosphère étonnamment citadine. C’est aussi une ville qui a un passé historique. […] Onomichi est une ville qui a un côté très Showa. J’ai pensé qu’il serait intéressant d’opposer Onomichi, une ville dont l’atmosphère contient même des vestiges de la période d’avant-guerre, à Kamurocho, un symbole des temps modernes. Nagoshi

    Vous commencez à connaitre la chanson, mais le travail est encore une fois titanesque. Les intérieurs sont reproduis avec fidélité, la ville grouille de détails dans tous les coins, et globalement l’aspect tourisme virtuel est toujours aussi important. Peut-être même plus dans celui-ci que dans les autres, et pour une bonne raison : les développeurs travaillent main dans la main avec l’office du tourisme d’Onomichi. Cette fois, au lieu de se baser majoritairement sur des repérages photographiques, les équipes ajoutent à leurs sources une reproduction officielle de certains lieux patrimoniaux. C’est d’ailleurs pour cette raison que la ville porte le même nom que dans le monde réel : contrairement à Kabukicho qui n’est jamais cité dans les Yakuza, Onomichi existe sur les deux plans sans aucune ambiguïté. D’ailleurs, pour profiter autant au jeu qu’à la ville, un concours de photo est organisé à la sortie du jeu. Une opération plutôt réussie avec de nombreuses personnes postant leurs photos sur les réseaux. On découvre à la fois l’Onomichi virtuel et l’Onomichi réel en même temps.

    Yakuza 6 est un peu différent des autres. Plus mélancolique, plus amer pour certains et doux pour d’autres, c’est un épisode qui répond aux questions posées en filigrane tout au long de la vie de Kiryu. Plus qu’un message politique, Yakuza 6 propose une vision du Japon et de la famille qui s’éloigne des remises en question sociétales, pour se pencher sur la question de la transmission. La filiation, l’héritage, l’éducation, l’absence, sont des thèmes centraux dans les Yakuza. Ca passe bien sûr par Kiryu et sa relation avec Haruka et les autres enfants de l’orphelinat, mais aussi par le questionnement plus vaste sur le Japon de demain. Alors bien sûr, Yakuza 6 parle de sujets très grave comme les heihazi, ces enfants chinois envoyés secrètement au Japon pour ne pas braver la loi de l’enfant unique. Comme à son habitude, la saga parle des laissés pour compte, de ceux qu’on laisse sur le bord de la route tandis que le train de la société continue son chemin. Mais ça reste tout de même moins présent dans le 6, l’introspection de Kiryu étant au cœur du scénario.

    Un scénario que beaucoup comparent à de la série B, et je dois dire que je suis en profond désaccord avec ça. Oui, ça devient souvent loufoque, oui les ficelles scénaristiques sont parfois un peu grosses, et oui, les deus ex machina sont réguliers et tout ne tient pas vraiment debout sans. Mais à côté de ça, la puissance dramatique qui s’est développée à travers des centaines d’heures de jeu aboutit ici à un final que j’ai trouvé absolument poignant, et pourtant parfaitement dans le ton de la saga. Yakuza 6 est boudé par beaucoup de fans par ses parti pris très différents des autres jeux, mais je peux dire sans sourciller qu’il se place tout en haut de la liste parce qu’il ferme une porte ouverte 11 ans avant sa sortie, en laissant derrière lui un message fort et rempli d’humanité.

    D’ailleurs, Yokoyama est bien conscient de cette division parmi les fans, et ça le rend content :

    Le fait que je puisse susciter des réactions aussi fortes de la part des gens me rend honnêtement très heureux. Ce n’est que mon opinion personnelle, mais je pense que dans le monde du divertissement, ce sont les produits controversés qui restent plus longtemps dans les mémoires. […] Si l’on regarde les réactions aux histoires de la série jusqu’à présent, par exemple, l’histoire de Yakuza 0 a été très bien accueillie, tandis que Yakuza 5 a eu une réaction mitigée. Néanmoins, en réalité, les données des utilisateurs montrent que le 5 a eu une durée de vie beaucoup plus longue […]. Le fait que les réactions soient très différentes d’une personne à l’autre est tout à fait typique de Yakuza. Honnêtement, lorsque Yakuza 1 est sorti il y a 11 ans, c’était même notre intention. Avant sa sortie, j’ai dit quelque chose comme : ” Nous ne sommes pas obligés d’obtenir 8 sur 10 de la part de tout le monde. 4 ou 5, c’est très bien, du moment que beaucoup de gens nous donnent 10 aussi.” Yokoyama

    Nonobstant cette différence d’appréciation entre les fans, Yakuza 6 va très bien se vendre lorsqu’il sort le 8 décembre 2016. Et surtout, avec le succès de Yakuza 0, il va aussi se vendre en Occident. Même s’il sort 1 an et demi plus tard chez nous, le jeu fait le meilleur démarrage de la série en dehors du Japon et cumule au total presque 1 million de ventes. Un succès qui conforte SEGA dans la réputation qu’obtient le jeu au fil des ans, et qui appelle à une suite malgré la fin des aventures de Kiryu. Sauf que, le jeu qui suit va accentuer cette division entre les fans en étant un tournant majeur pour la série.

    CHAPITRE 7 : L’HÉRITIER DU DRAGON

    L’histoire de Kiryu est terminée. Il a eu le droit à son grand final avant de disparaitre des radars. Bon, on le sait maintenant, pas tout à fait. Difficile de savoir si les développeurs avaient déjà en tête de le réintégrer dans la série à ce moment là de l’histoire, mais je pense personnellement que non, vu son traitement dans le 6 et les interviews que j’ai pu lire. Difficile de savoir s’il était sincère ou non, mais voilà ce qu’en disait Nagoshi lors de la sortie du 6 :

    J’ai pour principe qu’il faut absolument qu’il y ait une fin à quelque chose d’important sur le plan dramatique. Si la fin n’arrive jamais, il n’y a pas de tension. […] Je peux dire avec certitude qu’il n’y aura pas de Yakuza dans cinquante ans. […] Si l’on considère l’âge des personnages, c’est tout simplement impossible. […] Et maintenant que Kiryu a atteint un âge avancé et que même Haruka est devenue adulte, qu’advient-il de la série ? La série porte ce genre de fardeau de la vie réelle. Je pense qu’il est égoïste de la part d’un créateur de les faire soudainement rajeunir ou de les empêcher de vieillir simplement parce qu’il veut que la série continue. […] Plutôt que d’essayer de prolonger la fin de la légende de Kazuma Kiryu, j’aimerais y mettre fin pour l’instant de la meilleure façon possible et y réfléchir calmement plus tard. Bien sûr, je ne peux pas ignorer complètement les sentiments des fans, alors je devrai en tenir compte lorsque je réfléchirai à la forme qu’elle devrait prendre ensuite. Nagoshi

    Nagoshi se laisse clairement une porte de sortie, mais montre bien la logique derrière la série : le temps passe de la même manière dans l’univers de Yakuza et dans notre monde. Kiryu, étant né en 1968, avait 48 ans en 2016. C’est certes encore jeune pour vivre une vie paisible, mais est-ce qu’on peut vraiment l’imaginer se battre contre des centaines d’ennemis encore longtemps ? La réponse est évidente. Il doit passer le flambeau.

    Introduire un nouveau personnage principal est une des premières décisions que les développeurs ont pris, avant même de savoir si ce nouvel épisode serait numéroté ou non. Evidemment, c’est un pari très risqué, parce que Kiryu est l’âme de la série. Ca serait comme faire un God of War sans Kratos ou un Zelda sans Link, ça paraît impensable. Créer un personnage capable de l’égaler dans le cœur des fans, c’est un défi herculéen. Comment repartir de zéro sans s’attirer les foudres des fans ?

    Lorsque Sean Connery a passé le flambeau de James Bond, beaucoup de gens se sont plaints, mais ils ont fini par s’habituer aux nouveaux acteurs. Chaque acteur apportait sa propre touche au personnage de 007. De la même façon, nous pensons que les différents protagonistes que nous utiliserons finiront par reprendre le flambeau de Kiryu. Nagoshi

    L’idée n’est donc pas d’apporter un remplaçant à Kiryu, mais bien un personnage différent. Yokoyama explique dans une interview que Kiryu représente un personnage admirable, inspiré des films de yakuza. Ichiban, quant à lui, sera plutôt un personnage fiable, qui n’est pas forcément quelqu’un qu’on voudrait être, mais quelqu’un avec qui on aimerait être. Au lieu d’être un héros indestructible, Ichiban est un héros « réaliste », avec les limites que ça implique. Il doit être un bon leader, quelqu’un qu’on a envie de suivre, plutôt que quelqu’un qui lutte seul contre la terre entière. Un héros un peu dans la veine de Luffy de One Piece, qui est certes le plus fort de son équipage et qui combat toujours le boss final de chaque arc, mais dont le plus grand pouvoir reste de réussir à donner envie aux gens de le suivre. La filiation est d’ailleurs très directe, puisque Yokoyama déclare s’en être inspiré. C’est donc de cette envie de créer un leader appréciable que vient le point de départ de l’histoire, parce que Yokoyama décide alors qu’Ichiban sera entouré d’amis qui l’aideront dans sa quête. Et pour jouer un groupe de personnage, rien de mieux qu’un RPG avec de la gestion de groupe et des combats au tour par tout. C’est de là que vient le changement de gameplay, contrairement à une fausse idée répandue.

    J’vous explique. Le premier avril 2019, Ryu Ga Gotoku Studio publie une vidéo où on voit ce fameux système de combat en tour par tour. Evidemment, les fans sont choqués. A partir de là, l’info s’est répandue comme une trainée de poudre. C’était bien évidemment totalement faux, c’était une blague de Nagoshi. Un humour un peu particulier, que je ne comprends pas moi-même, mais qui a été relayé à tout va, notamment dans la presse anglophone, et qui a donc répandu partout cette information fausse. J’adore la presse, j’ai même fait une vidéo pour la défendre, mais faut dire que ce genre d’erreur est vraiment dommageable. Lorsque l’on pose la question à Yokoyama, il rectifie le tir en insistant bien sur le fait que Like a Dragon était un RPG avant même que le développement ne commence, lorsqu’ils en étaient encore à l’écriture du scénario.

    Bref, on parlera du gameplay plus tard, revenons sur la création d’Ichiban. En plus d’être un héros réaliste contrairement à Kiryu, on pourrait presque le considérer comme son antithèse. Il ne devient pas yakuza par conviction, et surtout, il est tout en bas de l’échelle sociale. Il est élevé par les prostitués et les parias au point même de développer un complexe par rapport à son prénom qui signifie « être le plus fort ». On pourrait considérer que le thème majeur d’Ichiban, c’est la lutte contre le déterminisme qui le pousse à rester le plus bas possible, élément qui n’a jamais concerné Kiryu.

    Par contre, les deux ont bien un point commun : c’est la même personne qui enfile la combinaison de motion capture pour les deux personnages. Sa gestuelle toujours calme devient beaucoup plus virulente avec Ichiban. Il gesticule, son visage est expressif, c’est un rôle totalement différent qui lui permet de jouer autrement. Quant à sa voix, eh bien… les fans la connaissent. C’est la voix de Nishikiyama, le frère de Kiryu et antagoniste du premier jeu. Les deux personnages sont doublés par Nakaya Kazuhiro, qui force ici beaucoup plus sur sa voix. Le travail entre les deux acteurs assez inhabituel, parce qu’ils s’influencent l’un l’autre.

    Si vous avez déjà regardé un anime et un drama japonais, vous avez du remarquer une énorme différence. Dans les animes, les seiyuu, le nom des doubleurs japonais, en font toujours des caisses. Ca crie très souvent, ça parle fort et avec beaucoup d’émotions mises dans la voix. Les personnages s’expriment d’une manière très stylisée. Dans les dramas au contraire, les personnages ont un jeu généralement plat, plus porté sur l’introversion. Les Yakuza, d’autant plus à l’heure de la motion capture, fusionnent ces deux styles pour aboutir à un juste milieu. L’objectif, comme c’est le cas dans chaque étape du développement, est d’obtenir des personnages le plus réaliste possible. Pour ça, chaque micro détail est passé au peigne fin.

    Ce réalisme, présent dans la série depuis le tout premier, est ici à la fois bien présent et tordu dans tous les sens. D’un côté, on a l’aspect JRPG, qui donne lieu à des passages totalement déjantés. Et de l’autre, les questions politiques et la remise en question de la société japonaise. Rappelez vous, c’était déjà le cas dans les précédents, notamment le 3 avec cette histoire de bases américaines à Okinawa. Mais là, dans Like a Dragon, c’est carrément un cran au-dessus avec une critique évidente du parti au pouvoir, le Jiminto, qui s’appelle dans le jeu le Minjito. Sans trop rentrer dans le détail, il s’agit d’un parti de droite conservatrice au pouvoir depuis 1955, qui l’est encore à l’heure actuelle. Ses relations plus que douteuses avec la pègre ne sont un secret par personne, comme le démontre l’assassinat d’un député du parti en 2002 qui luttait contre la corruption des élus.

    Et comme à son habitude, la série parle des laissés pour compte. Les SDF, les prostitués, les imigrés : toute les castes des gens au plus bas sont centrales dans l’intrigue du jeu et sont dépeintes avec énormément d’humanité. Ijincho, un des principaux quartiers du jeu, en dit long : on pourrait le traduire par « quartier de ceux qui sont extérieurs à la société ». On cohabite avec eux et on fait les mêmes choses qu’eux : on cherche l’argent là où on peut, on va même au pole emploi local.

    D’ailleurs, la ville de Yokohama est aussi un gros changement pour la série. Au début du développement, Yokoyama imagine l’intrigue se dérouler à Kamata, un quartier tokyoïte. Sauf qu’il manque de lieux emblématique, et Yokoyama repense alors à la ville où il vivait il y a presque 20 ans. Yokohama, situé à une trentaine de kilomètres de Tokyo, est la deuxième ville en termes démographique et semble parfaite. Mais cette fois, il n’est plus question de représenter fidèlement le lieu tel qu’il est dans la réalité :

    Nous avons cette fois préféré changer notre fusil d’épaule, en pensant qu’il serait plus amusant de concevoir le quartier d’Ijincho non pas tel qu’il existe réellement, mais tel qu’il a peut-être existé au cours de son histoire, et en lui donnant l’aspect d’un wonderland.

    Et donc, reste cette question du gameplay qu’on a effleuré lorsqu’on parlait du pseudo poisson d’avril. C’était un moyen judicieux de prendre la température, de voir les réactions des joueurs. Autant dire qu’elles ont été virulentes, avec 90% de pouces rouges sur la vidéo. Lorsque les joueurs ont appris quelques semaines après que le jeu sera effectivement un JRPG, ils l’ont vraiment très mal pris. Mais en réalité, le choix était déjà fait et il n’était plus question de revenir en arrière. Les développeurs ont serré les dents, et ont compté sur la communication pour regagner le cœur des fans. Via une démo au Tokyo Game Show, via des trailers et autres interviews, il fallait montrer que ce choix était cohérent. Et il l’était.

    La première raison de ce changement, c’est donc ce qu’on disait un peu avant : Ichiban est accompagné par des alliés, et le JRPG est un genre parfait pour jouer un groupe. Plutôt que d’avoir des alliés qui tabassent des sbires dans leur coin, on a ici la main mise sur tout le monde, on crée des stratégies, et on ressent manette en main la synergie du groupe. D’ailleurs, l’écriture plus globalement est une bonne raison à ce changement : même s’il est bien sûr dans la même veine que les précédents en matière d’intensité dramatique, Like a Dragon ressemble plus à un shonen que ses prédécesseurs. Ce nouveau gameplay accompagne aussi cette nouvelle écriture, qui passe beaucoup par l’humour même dans l’histoire principale.

    La deuxième raison, un peu moins évidente, c’est que les équipes veulent faire leurs preuves en tant que concepteurs de jeux. La série a toujours été grandement influencée par le cinéma, et c’est une image qui lui colle à la peau. Comme le dit Yokoyama en interview, ils veulent se défaire de cette image :

    « Je suis heureux quand on me dit qu’on me verrait bien écrire un film ou un feuilleton, mais ce n’est pas un compliment valable pour un créateur de jeu vidéo, car ce sont des médias complètement différents. C’est en tant que jeu vidéo qu’il faut nous évaluer. Plutôt que d’être félicités pour l’histoire, nous voulons entendre dire que les gens ont trouvé de l’intérêt en y jouant. » Masayoshi Yokoyama

    Après avoir séduit le grand public, notamment via des campagnes marketing qui cherchaient à se démarquer en allant chercher un public peu enclin à acheter un jeu vidéo, voilà que la série cherche désormais à aller chercher les joueurs. Et tout va dépendre d’eux.

    En fait, la suite dépendra de la réaction des joueurs. Ce sont eux qui décideront de l’évolution de la série et de l’opportunité de faire une suite ou non. Like a Dragon est un nouveau départ pour la série, donc nous pourrions faire n’importe quoi maintenant. Nous pourrions faire une suite, un jeu non-canonique, un jeu avec plusieurs protagonistes ou un spin-off. Mais personnellement, je veux continuer à raconter l’histoire d’Ichiban. Un seul jeu n’a pas suffi. Masayoshi Yokoyama

    Pour toujours plus être en rupture avec les précédents, Like a Dragon est aussi le premier de la série à bénéficier d’une sortie prévue en amont à l’internationale. Une décision qui montre bien l’essor de la licence en Occident, mais qui s’accompagne d’une façon de faire assez différente comparé aux précédents. Déjà, ça va avoir une influence directe sur le contenu : les développeurs consultent des équipes étrangères pour s’assurer que le jeu ne risque pas de heurter les sensibilités liées à d’autres cultures. Ils vont aussi se plier à certaines exigences de l’office americaine de SEGA. Par exemple, pour Ishin, c’est l’office américaine qui demande à intégrer tel ou tel personnage en fonction de sa popularité. Au risque de me répéter, on est bien loin de l’époque où Nagoshi visait exclusivement un public d’hommes japonais. Mais on ne devrait pas s’en plaindre, car c’est grâce à ça que Like a Dragon évite les éléments considérés comme trop tendancieux, notamment les passages sexistes.

    Like a Dragon est aussi le premier Yakuza depuis belle lurette à bénéficier d’un doublage anglais et de sous-titres dans plusieurs langues, dont le français. Et je dis bien depuis belle lurette, puisque le premier était sorti avec un doublage anglais, qui avait ensuite été abandonné parce que le jeu n’avait pas marché. Il était vendu comme un GTA japonais, ce qui est bien sûr aux antipodes de ce qu’est la série. D’ailleurs, pour l’anecdote, faut savoir que Nagoshi déteste GTA. Bon après, doublage anglais ou pas, si vous n’avez toujours pas touché à un Yakuza, je vous recommande fortement les doublages japonais qui sont plus réussis, mais surtout beaucoup plus cohérents.

    Like a Dragon sort le 16 janvier 2020 au Japon, et le 10 novembre dans le reste du monde. L’accueil critique est ultra positif, et les ventes suivent avec 400 000 copies écoulées la première semaine au Japon. C’est moins que celles du 6 qui avaient atteint les 500 000 ventes sur la même période, mais ça reste un excellent score, puisqu’il trône en tête des ventes pendant 2 semaines.

    Depuis, le studio continue de nous émerveiller. Rien que l’année dernière sont sortis deux jeux : Ishin, le remake d’un jeu sorti en 2014 qui se déroule durant l’ère Bakumatsu, et Gaiden, l’épisode 6 et demi qui devait initialement être un DLC. Et on a aussi eu le 26 janvier dernier Infinite Wealth, un jeu incroyable dont je parlerais plus en détail dans une prochaine vidéo. Mais il faut aussi noter un changement important : Nagoshi a quitté le studio en 2021, pour en fonder un nouveau chez NetEase, un éditeur chinois. Un des hommes forts de SEGA a décidé qu’il voulait à nouveau se challenger sur le plan créatif et a donc fait ses valises. Pour l’instant, on ne sait pas encore ce que ça va donner, mais ce qui est sûr, c’est qu’on sera au rendez-vous.

    CHAPITRE FINAL :

    Bon, pas facile de balancer sa conclusion alors qu’on vient de parler pendant presque 2h d’une série vieille de presque 20 ans. Et c’est surtout d’autant plus difficile que j’ai une affection toute particulière envers les Yakuza. Quand j’ai commencé la série par Yakuza 0 en 2020, je me suis pris une claque monumentale. Non pas parce que c’était le meilleur jeu auquel j’ai joué, ni le plus beau, ni celui avec le meilleur gameplay, ni le mieux écrit. Mais il a produit chez moi quelque chose que j’avais perdu depuis longtemps : me sentir comme un gamin devant un jeu vidéo, avide de connaitre le fin mot de l’histoire et de découvrir tout ce que le jeu avait encore en stock comme trucs loufoques. Des bons jeux, j’en ai fait des tonnes tout au long de ma vie. Ca fait 26 ans que je joue aux jeux vidéo, j’ai sans doute découvert un bon millier d’aventures, si ce n’est plus. Et faut pas exagérer non plus, certaines m’ont mises de grosses claques : Nier Automata, Inside, The Witcher 3, Mass Effect, Shadow of the Colossus, Disco Elysium, Bioshock, Baldur’s Gate 3 et des dizaines et des dizaines d’autres. Mais aucune ne m’a fait passer à travers tant d’émotions à la fois. J’ai ri, beaucoup ri, j’ai pleuré, j’ai été surpris, j’ai pesté, bref, je crois que je suis passé par toutes les émotions possibles avec cette série. Et ça, il n’y a vraiment que Yakuza qui en a été capable.

    Et en plus de ça, Yakuza fait quelque chose que je considère capital dans l’art de manière général : être un reflet de notre monde. Nous divertir pour nous proposer une réflexion sur ce qui nous entoure. C’est un regard sur la société japonaise, mais avec un réel message humaniste, qui dénonce les travers de la société et parle de ceux dont on ne parle pas assez. Vous en connaissez beaucoup des jeux qui parle de manière aussi humaine des SDF ? Qui parle de la condition des migrants ? Qui parle de la difficulté à s’intégrer dans une société qui nous rejette ? Les Yakuza sont des jeux que je chéris car je trouve leur message et leur approche bien plus sincère que la grande majorité des jeux à l’heure actuelle. Alors oui bien sûr, le scénario part souvent en cacahuètes, y a des deus ex machina de partout, des incohérences à tout bout de champ, et des ficelles scénaristiques qui sont carrément devenues des cordes. Mais est-ce que c’est ça qu’on se rappelle quand on pense à Yakuza ? Clairement pas, et en réalité, le côté série B qu’on leur reproche parfois est le plus minime de leurs défauts.

    Parce que ça oui, des défauts y en a, à commencer par un essoufflement de la série qui se repose un peu trop sur ses acquis. Et puis, même au niveau des thèmes abordés, je suis pas forcément toujours réceptif : le protectionnisme par exemple, ou encore le petit côté réactionnaire de Kiryu qui ne cherche pas à s’adapter dans le monde qui l’entoure. Plutôt que de chercher à le comprendre, il le rejette totalement pour être en adéquation avec ses valeurs. Heureusement, elles sont louables, mais ça reste néanmoins le fameux discours du « c’était mieux avant » qui prône, ou en tout cas qui flotte quelque part tout au long de la saga. Heureusement, ça pèse pas grand chose face au message très humaniste qu’il délivre sans aucune condescendance ou cynisme, et ça fait du bien dans une période où le meta et le sarcasme sont rois. Les liens de parentés, qu’ils soient génétiques ou volontaires, la place des oubliés dans la société, la corruption, le temps qui passe, la transmission entre les générations, l’éducation, le rôle du père, l’adolescence, le deuil, les regrets : tout ça et plus encore, Yakuza en parle.

    Et puis bien sûr, je n’oublierais jamais les heures passées à éclater de rire devant toute la fantaisie de ces jeux. Tous ces moments totalement surréalistes, mais aussi ces moments où plutôt que d’aller tabasser du sbire ou aller sauver la veuve et l’orphelin, j’allais simplement au karaoke ou faire du golf. Y a un peu un côté étouffant à avoir autant de choses à faire, autant de contenu disponible, mais on s’y habitue vite, et on découvre une richesse infinie. Les Yakuza font partie des jeux les plus divertissants que j’ai pu faire dans ma vie, parce qu’ils ne se soucient pas du réalisme ou du sérieux qu’on pourrait attendre d’une histoire de yakuza. Quand quelqu’un qui se cache m’envoie chercher à manger et qu’en fait je fais le tour de la ville à faire tous les mini jeux possibles et inimaginables, elle devrait être morte de faim depuis bien longtemps. Mais non, bien sûr que non, parce qu’on s’en fiche en réalité du temps qu’on met à faire les courses. Yakuza ne s’embourbe pas dans les pièges qui rendent la fameuse dissonance ludonarrative si visible dans d’autres jeux. C’est un jeu vidéo, on le sait, les développeurs le savent, et le pacte tacite passé entre eux et nous prime sur le reste. Et franchement ça fait du bien de voir une équipe sincère et honnête dans sa démarche, qui fait sans aucun doute partie de ceux qui ont compris ce qu’est vraiment un jeu vidéo.

    Sources

    Livres

    • La Saga Yakuza. Jeu vidéo japonais au présent, Victor Moisan

    Interviews de Nagoshi

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    Développement des Yakuza

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    CHAPITRE 5 : TOUJOURS PLUS HAUT, TOUJOURS PLUS GRAND
    3
    CHAPITRE 0 : MACHINE A REMONTER LE TEMPS
    4
    CHAPITRE 6 : LA FIN DU DRAGON
    5
    CHAPITRE 7 : L’HÉRITIER DU DRAGON
    6
    CHAPITRE FINAL :
    7
    Sources

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