
Qu’il fait bon vivre dans cette décennie 2020 en tant que fan de Dune. Entre les films de Denis Villeneuve, la série, les jeux vidéo, le regain d’intérêt pour l’œuvre de Frank Herbert n’a jamais été aussi fort. Parce que oui, ironiquement, être un fan de Dune a longtemps rimé avec traversée du désert : à part le film de Lynch, une série au début des années 2000 certes fidèle aux livres mais… vieillissante, et les derniers jeux vidéo qui datent des années 90, on n’avait plus grand-chose à se mettre sous la dent. Alors bon, tout ce qui est sorti n’est pas forcément convaincant : j’ai moi-même quelques soucis avec les films de Villeneuve, les échos que j’ai entendus sur la série Dune Prophecy ne sont pas très bons, et Dune Spice Wars était très sympathique, mais disons qu’on ne ressent pas toute la majestuosité d’Arrakis. Et très franchement, je n’étais pas rassuré par ce Dune Awakening, surtout vu le passif du studio. J’avais envie d’y croire, tout en étant très sceptique. Alors, est-ce qu’on aurait enfin trouvé le graal pour les fans ?
Pour ceux qui ne connaissent pas Funcom, faut savoir qu’ils ont quand même de belles casseroles sur leur CV. Enfin, une plus précisément, parce qu’ils ont aussi de bons jeux dans leur catalogue. Mais Conan Exiles… Oui, le jeu en lui-même est sympa, et pour y avoir joué avec des potes, on peut vraiment passer un bon moment. Mais malgré des années de suivi, c’était toujours la croix et la bannière pour jouer dans de bonnes conditions. Des bugs, des crashs, des bases qui disparaissent, les microtransactions dans un jeu vendu plein pot ; bref, des vertes et des pas mûres, qui impriment un souvenir amer dans notre mémoire plutôt qu’une douce ode à la barbarie.
Alors quand j’ai vu l’annonce d’un jeu Dune, ma joie fut immense sur l’instant. Depuis que j’ai découvert cet univers incroyable, j’ai toujours eu envie de le parcourir dans un jeu immersif et exigeant. Entendez par là que Dune Spice Wars pour moi ne remplit pas ces critères. Ça se voit que les développeurs ont fait attention aux détails et ont bien compris les différents flux politiques qui composent Dune, la richesse de son univers et les moult possibilités que ça peut apporter dans un jeu de stratégie, mais on est loin de se sentir écrasé par Arrakis. J’avais vraiment envie d’un jeu qui nous fasse trembler des genoux lorsqu’on n’utilise pas la marche irrégulière dans le désert profond, qu’on ne gère pas notre eau avec minutie, qu’on se plonge dans ces conflits politiques d’une rare intensité, et bien sûr qu’on découvre tout l’aspect mystique de l’épice avec la préscience. Tout ça, on ne peut l’avoir que si on vit cette aventure à échelle d’humain.
Alors oui, j’étais hypé par Dune… Puis j’ai vu Funcom, et d’un coup j’étais moins confiant. J’avoue, j’aurais préféré un jeu solo bien touffu, une sorte d’action-RPG à la The Witcher. Mais faut dire aussi que l’aspect survival correspond bien à ce qu’on imagine comme genre de jeu qui colle bien. De toute façon, je n’allais pas passer à côté d’un jeu Dune. Alors… Je me suis lancé, parce que quoi de mieux que de se perdre dans le désert en pleine canicule ?
Et pour être honnête, j’ai vite été rassuré. Dès les premières secondes, je suis plutôt enthousiaste : l’idée de placer l’histoire du jeu dans une vision de Paul, en gros en faire une uchronie, est une excellente idée. Parce que déjà, elle permet aux développeurs de ne pas se prendre les pieds dans le tapis en étant incohérents par rapport aux livres. Pas besoin de raccorder pour que ça suive la trame initiale, ce qui serait autrement plus compliqué pour justifier l’importance de notre personnage. Ça permet aussi le fameux “What if ?”, qui est toujours sympa pour explorer une œuvre sous un autre angle. Je ne suis généralement pas fan des multivers, mais force est de constater que ça marche à merveille pour Dune Awakening. En plus, ça crée de la surprise : on ne peut pas savoir ce qu’il va se passer, puisqu’il s’agit d’une histoire originale.
Ça pourrait être casse-gueule, parce que créer une nouvelle histoire, ça sous-entend de maîtriser parfaitement l’univers pour ne pas se planter en beauté. Et c’est là où j’ai vraiment été le plus surpris : les développeurs sont des fans, ça se voit, et surtout, ça se ressent. La connaissance du lore, la façon de jouer habilement avec nos attentes, les petites citations durant les temps de chargement, tout est là pour qu’un fan se sente comme à la maison. Ça va des petits clins d’œil sympas comme les quêtes autour de Liet, personnage important des romans, jusqu’à l’intégration de mécaniques qui retranscrivent parfaitement ce qu’on découvre dans les livres. On pense bien sûr à l’omniprésence des vers, mais aussi à l’importance de l’eau, la gestion de la chaleur, et bien évidemment, l’épice, là aussi très importante dans le jeu.
Visuellement, le jeu repompe à fond l’esthétique des films de Villeneuve, et j’avoue être mitigé. Certes, ce brutalisme dans l’architecture marche bien, et visiter Arrakeen pour la première fois peut potentiellement nous décrocher la mâchoire. Mais à titre purement personnel, c’est très éloigné des images que j’avais en tête en lisant les livres. C’est dommage de ne pas avoir proposé autre chose, surtout que les devs se le permettent quand ils le veulent, comme par exemple le changement de certains chara-designs. Thufir Hawat* est beaucoup plus proche de la description faite dans les romans que de l’acteur choisi pour les films, donc pourquoi ne pas avoir été plus loin dans la démarche en proposant une nouvelle esthétique globale ?
Dans tous les cas, le plus grand intérêt du jeu, c’est sans aucun doute Arrakis. Arrakis, dans Dune Awakening, c’est pas seulement un décor. C’est une présence, un poids constant sur les épaules. Faire exister un lieu comme s’il était vivant, autonome, et profondément hostile, c’est pas quelque chose qu’on croise souvent dans le jeu vidéo, mais là c’est diablement réussi. On n’est jamais “dans le désert” : on est “à la merci” du désert.
Dès les premières heures, on sent que tout est pensé autour de cette idée : on n’est pas le héros de ce monde, on est un intrus. La chaleur est écrasante, l’eau est précieuse, le moindre faux pas peut être fatal. Et cette tension permanente, cette solitude sous un ciel brûlant, c’est exactement ce que transmettaient les livres d’Herbert. On ne se balade pas sur Arrakis, on y survit. Mais là où le jeu est particulièrement intelligent, c’est qu’il fait d’Arrakis non seulement un ennemi, mais aussi un centre de gravité : tout le gameplay tourne autour d’elle. C’est elle qui impose son rythme : les tempêtes nous déboussolent, les vers de sable condamnent les déplacements trop longs, la chaleur et la pénurie d’eau nous forcent à établir un plan de voyage fiable. Explorer, récolter, construire ? Bien sûr, mais toujours sous contrainte. Et c’est dans cette contrainte que naît l’intérêt du jeu : chaque ressource a du sens, chaque trajet est une décision, chaque moment d’inattention nous punit d’une leçon à retenir.
Le monde de Dune n’est pas simplement un habillage SF : c’est un monde codifié, politique, mystique, et surtout aride, dans tous les sens du terme. Et Dune: Awakening le retranscrit à la perfection. Les grandes factions sont bien là : les Fremen, les Harkonnen, les Atreides, la Guilde… Sauf que Dune: Awakening est malin et ne nous impose pas une faction dès le départ, c’est plus subtil : on compose avec leur présence, on navigue entre leurs intérêts.
Et surtout, l’épice est au cœur de tout. Non pas comme simple ressource à récolter, mais comme levier de pouvoir. La manière dont elle est intégrée au gameplay est très maligne : elle permet d’améliorer ses capacités, mais peut nous retomber sur le coin de l’œil si on ne fait pas attention. On n’est jamais à l’abri d’une crise qui cause de sévères malus. Qui plus est, elle sert aussi à crafter de meilleurs équipements et surtout, à jouer au jeu de pouvoir entre les maisons. Et oui, l’épice qui est au centre de tout l’univers Dune, c’est pas juste un bonus mécanique : c’est l’intégration directement dans le gameplay de ce qu’elle représente dans les romans. Et là, chapeau bas, parce que c’était pas gagné.
Du côté de la survie, Dune: Awakening ne réinvente pas la roue. Le crafting, la construction de base, la gestion de l’inventaire, les outils à créer, les bases à améliorer, les recettes à apprendre, tout ça, on connaît. Pour peu qu’on ait joué à Rust, Valheim, ou The Forest, on n’est pas vraiment dépaysé. À noter ceci dit que la construction est plutôt agréable et bien fichue, ce qui n’est pas le cas de tous les jeux de survie.
Et surtout, là où le jeu se démarque, c’est dans l’ambiance et le rythme imposé par l’environnement. Là où Rust est chaotique et brutal, Dune est plus lent, plus contemplatif, plus oppressant aussi, et se rapproche beaucoup plus d’un Subnautica. Ce n’est pas un jeu où l’on meurt toutes les cinq minutes, mais un jeu où l’on vit dans la crainte de mourir à la prochaine. Plutôt que d’être dans l’urgence, on est dans la tension.
L’autre bonne idée, c’est que la survie n’est pas qu’une contrainte mécanique, elle s’intègre à la perfection dans l’univers narratif. La recherche d’eau n’est pas là uniquement pour servir de clin d’œil, c’est une des grandes lignes du gameplay, et c’est un élément central de la culture Fremen. Alors si au début on se contente de boire via les quelques plantes qu’on croise, on va vite apprendre à récupérer le sang des ennemis, à créer une machine pour le filtrer et se faire de bonnes réserves, indispensables pour survivre. De même, l’interaction avec les vers de sable n’est pas juste un obstacle : c’est une manière de réfléchir à sa façon de se déplacer. Les mécaniques ne sont pas juste un copié-collé de ce qu’on a déjà vu, elles ont un sens thématique.
Mais bon, soyons honnêtes : si on enlève l’habillage Dune, le système de survie reste plutôt conventionnel. Pas mauvais, mais pas spécialement innovant non plus. On reconnaît la patte Funcom, avec ce qu’elle a de solide et… de rigide. Les animations ne sont pas éblouissantes, l’interface est parfois un peu brouillonne, et certaines mécaniques manquent d’équilibrage. Mais dans l’ensemble, ça marche plutôt bien, et c’est ce que j’espérais : un jeu de survie qui sert de support à l’univers.
Par contre, là où le jeu est surprenant, et peut-être un poil contre-intuitif, c’est sa gestion de l’aspect multijoueur. Oui, on croise d’autres joueurs, mais tout est fait pour que la solitude reste l’expérience dominante. Et franchement, c’est une excellente décision. L’univers de Dune n’a jamais été pensé comme un monde de coopération convivial. C’est un univers de suspicion, de secrets, de survie à la dure. Dune: Awakening le comprend, et propose un monde partagé où l’interaction est plus contextuelle qu’imposée. On ne croise jamais grand monde, et même si on croise énormément de bases, on ne peut de toute façon pas interagir avec. Et c’est cohérent : ce n’est pas un monde pensé pour le fun à plusieurs, c’est un monde pensé pour nous éprouver face à l’environnement.
Du coup, on peut tout à fait jouer en solo. Les premières dizaines d’heures peuvent parfaitement se faire sans croiser personne, ou presque. Les quêtes principales sont conçues pour être réalisées seul, les ressources de base sont disponibles à proximité, et l’environnement offre assez de tension pour occuper qu’on ne s’ennuie jamais. Ceci étant, le jeu reste malgré tout plus fluide en groupe. L’exploration, la récolte de ressources, bref ce genre d’activité qui prennent du temps sont beaucoup plus simples à plusieurs. Pour ceux qui ne s’intéressent pas au PvP, il faut savoir qu’il est délimité à certaines zones qui ne représentent qu’une fraction minime du monde. En plus, on ne peut s’y plonger pleinement qu’à partir de la fin du scénario, comptez donc plusieurs dizaines d’heures.
Par contre, tout n’est pas parfait. Si le jeu a su éviter les bugs massifs à la Conan Exiles, il n’en reste pas moins relativement modeste lorsqu’il s’agit de technique. On est loin d’être impressionné par les graphismes, d’autant plus quand il s’agit des visages lors des dialogues et de certaines textures. Néanmoins, il a au moins le mérite d’être stable, ce qui est déjà un net progrès par rapport aux débuts de Funcom sur leurs précédents projets.
Du côté de la narration, c’est aussi relativement nuancé. Il y a une histoire principale, ce qui est déjà une bonne surprise. Elle commence doucement mais devient rapidement intrigante, notamment grâce à l’idée de jouer une vision de Paul. Cette trame nous pousse à découvrir la planète, rencontrer des figures de l’univers, et surtout à comprendre le fonctionnement du monde autour de nous. On sent une volonté de guider le joueur dans la découverte d’Arrakis, ce qui rend le jeu plus accessible que la plupart des survivals en monde ouvert. Mais à côté de ça, une grande partie du contenu narratif repose sur des quêtes secondaires générées via les contrats. Et là, on tombe clairement dans du fedex sans intérêt : “va tuer bidule”, “récupère tel objet à tel endroit”, et ainsi de suite. Ce ne serait pas gênant si ces missions étaient rares, mais elles constituent une part importante de la boucle de progression, ce qui crée rapidement une forme de répétition mécanique. On peut espérer que le contenu narratif s’étoffe au fil du temps, mais pour l’instant, il y a un écart net de qualité entre la quête principale et le reste.
Et pour finir, certains systèmes comme la personnalisation du personnage, l’économie entre joueurs, ou le poids des factions restent à l’heure actuelle en arrière-plan. Rien de dramatique donc, mais l’approfondissement de ces mécaniques ou quelques ajouts cosmétiques pourraient bien faire de Dune un incontournable, à condition d’aimer le sable et la chaleur.