
Jouer à aller au travail, c’est quelque chose qui m’a toujours paru étrange. Si c’est déjà suffisamment embêtant dans la vie courante, pourquoi se l’infliger aussi durant notre temps libre ? Mais Inhuman Resources ne parle pas vraiment de travail. Il part loin, très loin dans un délire et nous laisse entrevoir à quoi pourraient ressembler les Illuminatis si l’organisation était une société. Aussi drôle qu’effrayant. Et au-delà du scénario, le studio derrière le jeu, Finnegan Motors, a déclaré avoir pour ambition de redéfinir l’expérience de lecture dans le jeu vidéo. Alors, qu’en est-il ?
Avant toute chose, petit disclaimer : Inhuman Resources est un jeu intégralement textuel. Il n’y a aucune forme de gameplay, c’est un jeu qui se concentre uniquement sur la prise de décision. Donc si vous vous attendez à autre chose ou que vous n’aimez pas la lecture, le jeu n’est pas fait pour vous. Par contre, si vous aimez les jeux qui impliquent des dizaines et des dizaines de choix et les histoires étonnantes, ça pourrait vous intéresser.
Maintenant qu’on est au clair là-dessus, concentrons-nous sur le cœur du jeu, à savoir son scénario. On incarne un chômeur pas très propre sur lui qui vit dans un taudis et empile les réponses négatives à des offres d’emploi. Imaginez un peu le personnage de Bref, mais en pire. Oui, ce n’est pas très engageant comme introduction. Mais heureusement, notre tante et propriétaire, fatiguée d’attendre le versement du loyer, nous trouve une solution. Elle nous propose un travail dans son entreprise, et à défaut de trouver autre chose, on est plus ou moins obligé d’accepter. On se rend à l’entretien d’embauche, et là déjà, les choses prennent une tournure étrange. Les gens sonnent faux, les propos tenus semblent tout droit sortis d’une brochure, et l’entretien nous laisse aisément deviner qu’il se passe quelque chose d’anormal. Oui, on arrive tout droit dans une entreprise pas comme les autres, et on va tout faire pour en sortir – parce qu’évidemment, une lettre de démission classique ne fonctionne pas.
À partir de là, on enchaîne les situations tantôt kafkaïennes, tantôt ubuesques, mais jamais inscrites dans une quelconque forme de normalité. On est plongé dans un mélange de folie et de génie machiavélique, et autant le dire tout de suite : ça nous tient en haleine. Certes, c’est très cliché, on ne tombe jamais sur quelque chose d’inédit. On ressent beaucoup l’influence du livre 1984, de Brazil, de la série Severance, et d’une tonne d’autres œuvres qui dépeignent un monde du travail malsain et autoritaire. Mais même si tout ça sent déjà un peu le réchauffé, le ton irrévérencieux, les situations absurdes et les dialogues percutants suffisent largement à maintenir notre curiosité éveillée. On est quand même happé dans cet univers farfelu, on est constamment en train de se demander jusqu’où ce délire peut aller.
Autre force du Visual Novel qu’utilise parfaitement Inhuman Resources : le poids du choix. Chacun d’entre eux semble mener à des routes totalement différentes. Les développeurs se targuent eux-mêmes d’avoir imaginé plus d’une centaine de fins, et au vu du nombre de possibilités, ça ne semble pas déconnant. On se pose souvent la question de savoir quoi faire ; les choix sont très souvent bien placés avec des conséquences difficiles à anticiper. Forcément, le jeu semble avoir une rejouabilité infinie ou presque : pour explorer tous les méandres de cet univers étrange, il va vous falloir beaucoup de temps. C’est ça aussi l’avantage de faire un jeu minimaliste : on peut s’en donner à cœur joie dans l’écriture !
Les personnages méritent également un coup de projecteur. Chacun d’entre eux est soigneusement travaillé et possède une personnalité bien définie, renforçant encore davantage la crédibilité et l’immersion dans l’univers absurde du jeu. Entre les collègues étrangement enthousiastes, les supérieurs autoritaires aux discours cryptiques, et le protagoniste aussi cynique que blasé, on est constamment confronté à une galerie haute en couleurs qui contribue à l’humour noir et à l’ambiance décalée du jeu. Ambiance qu’on peut savourer à notre rythme grâce à une autre bonne idée du jeu : la structure en chapitres, qui permet des pauses naturelles et de ne pas avoir à s’arrêter en plein milieu d’une situation cocasse.
Quel dommage que son aspect intégralement textuel en refroidira plus d’un, surtout qu’on n’y trouve aucun doublage, aucune ambiance sonore marquante et des visuels minimalistes au possible. Du côté des visuels, ils auraient mérité plus d’effort. Parce qu’en l’état, c’est très – trop – sobre. Quelques portraits ou illustrations supplémentaires auraient sans doute apporté une immersion bienvenue sans pour autant trahir l’esprit épuré du jeu. Et la traduction française n’aide pas. Enfin, je dis « française », mais ça serait plutôt québécoise. Si l’accent québécois a un charme indéniable, lire des « pause-diner », des « cellulaires », ou encore des tournures grammaticales franchement maladroites vient malheureusement casser l’immersion régulièrement. Certes, ça ajoute au côté farfelu pour celles et ceux n’ayant pas l’habitude, mais c’est aussi déroutant et ça peut à la longue nuire à l’expérience.