
Comme probablement beaucoup d’entre vous, j’éprouve parfois une certaine fatigue à l’égard des remasters et autres remakes. Certains sont vraiment pertinents en soufflant un vent de fraîcheur sur des jeux enfermés dans leur époque, comme ce fut le cas pour Resident Evil 2 Remake. D’autres sont oubliables, et certains sont médiocres, comme celui de Chrono Cross. Suikoden méritait largement un remaster, mais devant le spectre très large de la qualité des propositions, on avait de quoi se demander si celui-ci allait être à la hauteur. Voici la réponse.
Lorsque l’on évoque les deux premiers Suikoden, on remarque souvent des étoiles teintées de larmes dans les yeux des connaisseurs de JRPG. Une émotion teintée de nostalgie. Le premier opus, sorti en 1995 sur PlayStation, avait posé les bases d’une saga qui allait marquer profondément les fans de JRPG. Suikoden II, lancé trois ans plus tard, allait pousser plus loin encore l’ambition initiale. La série est rapidement devenue un pilier discret mais fondamental du JRPG, éclipsée par la popularité massive de Final Fantasy et Dragon Quest, mais adulée par un noyau de fans qui subsiste malgré les années. Développés par une équipe relativement modeste chez Konami sous la direction inspirée de Yoshitaka Murayama, ces jeux sont imprégnés par la littérature classique chinoise, notamment le roman Au bord de l’eau. L’objectif de l’équipe était de capturer ce souffle épique, ce sentiment d’humanité face aux tumultes de la guerre et de la politique.
L’histoire du premier Suikoden nous plonge dans la peau du jeune héros Tir McDohl, contraint de mener une rébellion contre un empire corrompu. Certes classique dans son déroulé, le scénario n’en reste pas moins poignant grâce à sa profondeur morale et sa capacité à traiter des thèmes sérieux tels que la révolte, le sacrifice et le pouvoir. Tir, personnage silencieux, exprime néanmoins une profondeur émotionnelle remarquable, entouré de compagnons aux histoires riches et diversifiées.
Suikoden II reprend ces thèmes et les amplifie en racontant l’épopée de Riou et Jowy, deux amis d’enfance dont l’amitié est mise à rude épreuve par une guerre dévastatrice. L’écriture atteint alors une complexité rarement vue à l’époque, traitant avec maturité de trahison, de loyauté, de perte d’innocence et des dilemmes déchirants que le pouvoir impose.
Ce qui rend les deux premiers Suikoden uniques dans le paysage du JRPG, c’est cette fusion exceptionnelle entre le grandiose et l’intimiste. Alors que de nombreux jeux se contentent d’une aventure linéaire centrée sur une menace apocalyptique, Suikoden explore les conflits internes des personnages, leurs interactions profondes et leur quête d’humanité au sein d’une guerre déchirante. Au lieu de sauver le monde, les personnages tentent de préserver leur propre humanité au milieu d’un conflit destructeur. Le jeu est également célèbre pour ses 108 personnages recrutables, chacun possédant sa propre histoire, ses motivations et son impact tangible sur l’univers. Cette richesse narrative est accompagnée d’un rythme fluide, alternant habilement entre des phases de calme relatif et des moments d’intensité dramatique extrême.
Et ce n’est pas tout, car le gameplay des premiers Suikoden est étonnamment riche pour leur époque. Leur système de combat au tour par tour est à la fois rapide et stratégique, enrichi par la présence d’attaques combinées et de runes magiques offrant une grande variété tactique. En plus de ces combats, il y a aussi les batailles stratégiques qui nécessitent réflexion et anticipation. Ces batailles, semblables à un wargame simplifié, ajoutent une dimension épique et permettent de renforcer le sentiment d’ampleur du conflit en cours. Et cerise sur le gâteau, la gestion d’un château servant de quartier général évolutif s’avère être une excellente idée, contribuant à une expérience immersive où chaque personnage recruté trouve sa place au sein d’une communauté vivante et dynamique. Même aujourd’hui, ces mécaniques restent remarquablement modernes.
Et s’ils ne brillaient pas par leurs graphismes, les Suikoden ont pu s’appuyer sur les musiques de Miki Higashino, qui mélangent mélancolie et héroïsme à la perfection. En somme, ils demeurent des références absolues du JRPG grâce à leur combinaison subtile d’un récit poignant, d’une mécanique de jeu profonde et accessible, et d’une direction artistique et musicale exceptionnelle. Ils ont marqué durablement les joueurs en leur offrant une expérience humaine authentique, où les enjeux personnels se mêlent avec intelligence à une grande fresque politique. C’est cette capacité à toucher profondément les joueurs, à leur offrir des moments inoubliables et des choix significatifs qui explique pourquoi ces jeux restent encore aujourd’hui dans les mémoires comme des chefs-d’œuvre intemporels. Et qui justifie sans aucun doute un remaster.
Avant toute chose, ce HD Remaster répond à une demande ancienne : rendre Suikoden accessible à une nouvelle génération de joueurs. Fini les galères techniques ou les prix exorbitants.
Et ce n’est pas un simple portage. Ne vous attendez pas à une grosse refonte non plus, mais certains ajouts font plaisir. En plus du fait de pouvoir facilement accéder aux jeux sur des consoles modernes, on a une fluidité accrue et une meilleure résolution pour l’aspect visuel, et on a surtout une traduction française enfin officielle et complète ! Et ça, c’est vraiment bienvenu.
Parmi les ajouts intéressants sans être transcendants non plus, on a quelques améliorations côté QoL (Quality of Life, les fonctionnalités qui améliorent le confort de jeu). On possède désormais un mode turbo accélérant les combats et les déplacements, rendant moins rébarbatives les phases de leveling ou d’exploration. De plus, la bande originale, déjà remarquable à l’époque, bénéficie d’un réarrangement optionnel qui offre une écoute plus dynamique et immersive sans jamais trahir les compositions originales. L’interface a aussi été revue, apportant une clarté bienvenue qui facilite la navigation et la gestion des personnages, un aspect crucial compte tenu de leur nombre.
Mais bon, vous vous en doutez, il faut bien râler un peu quand même. Parce que si ce HD Remaster apporte quelques améliorations agréables, il reste aussi quelques ajouts qui auraient pu considérablement augmenter sa valeur. Ce qui déçoit sans doute le plus, c’est l ’absence d’ajouts narratifs significatifs. Des éléments coupés du jeu original, connus par les fans et révélés au fil des ans, auraient pu être intégrés pour enrichir l’histoire déjà passionnante de Suikoden II. De même, un système d’archivage ou de documentation, permettant d’explorer plus profondément le lore du jeu, aurait constitué un ajout appréciable. Enfin, même si la dimension stratégique des batailles a été préservée, on aurait aimé une refonte plus audacieuse permettant de mieux équilibrer la difficulté et d’introduire davantage de variété tactique.
Aussi, une révision plus audacieuse et approfondie du système de bataille stratégique aurait apporté une modernisation bienvenue, en termes d’équilibre et de variété tactique, tout en respectant l’esprit original. Ces batailles, qui sont certes emblématiques, restent malgré tout répétitives et parfois simplistes. Une légère refonte leur aurait permis de gagner en profondeur et en dynamisme.