Test Possessor(s) : entre intentions fortes et exécution bancale

Published in Tests
December 12, 2025
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Après Hyper Light Drifter et Solar Ash, Heart Machine revient avec Possessor. Un metroidvania à l’univers fort, porté par un duo attachant et une direction artistique marquée. Mais derrière ses promesses narratives et visuelles, le jeu peine à transformer ses idées en expérience réellement maîtrisée. Une œuvre sincère, ambitieuse, mais profondément bancale — et d’autant plus difficile à juger que son studio traverse l’une des périodes les plus critiques de son histoire.

Un monde qui accroche vite

Le début s’annonçait bien. Les premières impressions qu’on a avec Possessor, c’est exactement ce que Heart Machine sait faire de mieux : créer un univers qui existe avant même qu’on le comprenne. On se retrouve dans une ville en ruines, mise en quarantaine, que l’on comprend rapidement rongée par une catastrophe interdimensionnelle où le décor semble contaminé. Même sans savoir concrètement ce qu’il s’est passé, pas besoin d’en faire des caisses pour comprendre que ça s’est mal terminé.

Justement, la direction artistique est rarement neutre. S’il y a bien quelque chose qu’on peut reconnaître au jeu, c’est son identité visuelle très marquée. Avec ce mélange de 2D stylisée et de volumes 3D qui donne une profondeur intéressante, certains décors sont tout bonnement magnifiques. Les zones ont chacune leur identité et racontent quelque chose, même si j’ai fini par me lasser des bureaux que l’on traverse trop longtemps. Néanmoins, on est bien dans un endroit qui semble avoir été habité, puis brutalisé, et le décor se raconte de lui-même à travers les détails.

Possessor(s) Screenshot

Et bien sûr, les personnages ont aussi leur rôle à jouer dès les premières minutes. Luca et Rhem, c’est sans aucun doute l’idée la plus solide du projet, parce que c’est une dynamique qui finit par fonctionner parfaitement. Fini, oui, parce que les débuts ne sont pas très engageants, à la limite de la caricature de stéréotypes qu’on a déjà vus mille fois. Mais cette alliance forcée par des intérêts communs — à savoir survivre — aboutit sur une relation attendrissante, bien travaillée sur la durée, et qui confère à Possessor une bonne partie de sa profondeur.

Le jeu est plus bavard que les précédentes propositions de Heart Machine, mais l’absence de silence ne réduit heureusement pas la portée émotionnelle de son propos. C’est d’autant plus intéressant replacé dans le contexte du metroidvania, un genre souvent relativement discret dans son écriture des personnages. On sent au départ le frottement permanent entre la nécessité de coopérer et l’envie de se débarrasser de l’autre. Puis on observe l’évolution du tandem, qui sort progressivement de ses archétypes respectifs pour dévoiler de réelles personnalités.

Donc, du côté narratif et de la direction artistique, sans être renversant non plus, Possessor est plutôt solide dans sa proposition. En revanche, quand il s’agit du gameplay… c’est une autre paire de manches.

Un metroidvania bancal

Mon premier et plus gros souci, c’est le gamefeel lors des combats. Pas tant le game design ou les idées de gameplay, mais vraiment la sensation manette en main. Possessor cherche à être nerveux sans s’en donner réellement les moyens. Les ennemis sont vifs, font mal, bougent dans tous les sens et surtout se montrent très agressifs. On en trouve au sol, en l’air, dans l’eau, bref, une vraie variété. Et pourtant, face à ça, la seule réponse dont on dispose, c’est un personnage qui pèse aussi lourd qu’un 33 tonnes, avec des animations lentes et quasiment aucun feedback lorsqu’on attaque.

On dirait que le jeu cherche à nous pousser vers un style agressif, fait d’enchaînements et de variations de rythme, mais ne nous donne jamais les clés pour y parvenir. Dans l’exécution, ça manque cruellement de précision. Seuls les combats de boss s’en sortent réellement, mais encore faut-il explorer pour les atteindre — et là non plus, ce n’est pas toujours une partie de plaisir.

Possessor(s) Screenshot

C’est vraiment dommage, parce que le jeu avait les ingrédients pour réussir sur cet aspect. On sent l’envie de proposer un monde interconnecté, avec des raccourcis, des zones verrouillées qu’on revient découvrir plus tard, etc. Mais j’ai souvent eu l’impression que l’espace était plus “construit” que “pensé”. Construit, au sens où il relie des zones entre elles, mais toujours avec cette absence d’organicité. On avance d’arène en arène, séparées par de légères phases de plateforme. Factuellement, ça fonctionne. Mais ça ne marque pas.

Un exemple tout bête : j’aurais aimé que la possession soit plus qu’un thème narratif et devienne une mécanique influençant la structure même des niveaux. Des espaces qui changent selon la domination de Luca ou de Rhem, une progression qui se ressent via la manette, une cohabitation qui transforme concrètement la façon de jouer. Or Possessor donne souvent l’impression de juxtaposer ses idées plutôt que de les faire dialoguer. Le récit parle de symbiose forcée, mais ces thèmes restent majoritairement cantonnés aux dialogues et à la mise en scène. Ils n’infusent pas réellement les systèmes.

Le gameplay ne raconte pas la même chose que la narration. Luca et Rhem évoluent émotionnellement, leur relation se transforme, mais manette en main, on ne sent pas cette évolution. Les mécaniques restent globalement les mêmes du début à la fin, avec quelques ajouts qui enrichissent l’arsenal sans jamais bouleverser la manière de jouer.

Possessor(s) Screenshot

C’est là que la comparaison avec les anciens jeux du studio devient difficile à éviter. Hyper Light Drifter racontait son monde par son level design, par ses combats, et surtout par son silence. Solar Ash, mon jeu préféré du studio et l’un de ceux qui m’ont le plus marqué en 2021, avait cette idée forte du mouvement comme langage, cette sensation de glisse permanente qui incarnait parfaitement son propos. Possessor, lui, parle beaucoup de cohabitation, mais ne parvient jamais à la traduire pleinement dans son gameplay. Le discours et le jeu avancent en parallèle, sans vraiment se rencontrer.

Et c’est d’autant plus dommage que le jeu possède de réelles qualités d’écriture sur la durée. Si le début est un peu caricatural, Possessor prend le temps de faire évoluer ses personnages. Luca n’est pas qu’une survivante courageuse, Rhem n’est pas qu’une entité cynique et manipulatrice. Leur relation gagne en nuance, et on sent une volonté d’éviter le manichéisme, de ne pas transformer cette possession en simple métaphore évidente. Et ça fonctionne. Je me suis surpris à m’attacher à eux, à vouloir comprendre leurs choix, à attendre leurs échanges avec une certaine curiosité.

Mais cette réussite narrative ne fait que mettre en lumière les faiblesses ludiques. Plus je m’attachais aux personnages, plus j’avais envie que le jeu soit à la hauteur de ce qu’il raconte. Plus je comprenais leurs enjeux, plus je regrettais de ne pas les ressentir physiquement dans le gameplay. C’est une sensation étrange, parce que ce n’est pas un rejet, mais un manque. Le jeu n’est jamais loin d’être vraiment bon, mais à aucun moment il ne franchit le cap.

Même la progression pose problème en termes de rythme. Il y a de bonnes idées, notamment ce principe de bricolage d’armes du quotidien imprégnées d’énergie démoniaque, qui confère au jeu un décalage humoristique presque absurde. Combattre des démons avec une souris d’ordinateur, ce n’est pas commun. Mais à cause du gameplay bancal, ce n’est jamais vraiment un plaisir de les utiliser, souvent plus une contrainte qu’autre chose face à des ennemis trop rapides ou hors d’atteinte.

À cela s’ajoute un autre souci majeur : la lisibilité. Possessor adore charger l’écran. Les ennemis ont des silhouettes très graphiques, les décors sont parfois denses, et les effets visuels viennent encore alourdir l’ensemble. Dans un jeu aussi punitif, cette surcharge devient un handicap. On ne comprend pas toujours d’où vient un coup, ni si une esquive a échoué par manque de timing ou par imprécision du système. Résultat, on ne progresse pas vraiment en tant que joueur. On ne se dit pas « j’ai raté, je ferai mieux la prochaine fois », mais plutôt « tant pis, on recommence ».

Possessor(s) Screenshot

Le problème n’est pas tant la difficulté que l’injustice ressentie. Hyper Light Drifter n’était pas facile, Solar Ash non plus. Mais dans Possessor, la difficulté donne souvent l’impression d’être artificielle, entretenue par des ennemis trop rapides pour les capacités du personnage ou par des situations où l’espace de jeu ne permet pas réellement de reprendre le contrôle. C’est d’autant plus frustrant que, lorsque le jeu se calme — notamment lors de certains boss — il montre enfin ce qu’il aurait pu être. Là, les patterns sont lisibles, les phases bien découpées, la tension maîtrisée. Mais ces moments restent trop rares.

Le constat est similaire pour les phases de plateforme. Rien de catastrophique, mais rien de vraiment satisfaisant. Les sauts manquent parfois de souplesse, la gestion de la profondeur en 2.5D n’est pas toujours claire, et certaines chutes donnent surtout l’impression d’avoir été piégé par la caméra ou par une mauvaise lecture du décor. On n’est jamais dans la fluidité presque musicale de Solar Ash, ni dans la rigueur d’un metroidvania parfaitement calibré. C’est fonctionnel, mais frustrant.

Un studio à l’agonie

Et si cette déception me touche autant, c’est aussi parce qu’elle est personnelle. J’adore Hyper Light Drifter, et plus encore Solar Ash. Ces deux jeux m’ont marqué durablement, autant pour leurs univers que pour leurs manières de raconter sans expliquer. Hyper Light Breaker, en revanche, m’avait déjà laissé un goût amer. Une promesse intéressante, mais une exécution trop floue, trop diluée, qui donnait l’impression d’un studio en train de chercher sa voie. Et surtout, un manque de contenu qui révélait déjà la condition fragile du studio.

Heart Machine n’est plus ce petit groupe indépendant qui se permettait d’expérimenter sans filet. Depuis 2024, le studio traverse une période extrêmement difficile. Après une première vague de licenciements fin 2024, l’équipe derrière Hyper Light Breaker a dû arrêter son développement et se séparer d’une partie de ses employés. Le studio a justifié cette décision par un contexte de financement incertain et des contraintes qu’il ne maîtrisait plus.

Comme si cela ne suffisait pas, une nouvelle vague de licenciements est intervenue quelques semaines à peine avant la sortie de Possessor, avec plusieurs développeurs annonçant publiquement qu’ils quittaient le studio au moment même où le jeu allait être lancé. Certains ont même indiqué ne pas savoir s’il resterait, après la sortie, des personnes ayant réellement travaillé sur le projet. D’un côté, ce contexte éclaire certaines faiblesses du jeu : un gameplay hésitant, des mécaniques pas complètement réglées, une identité parfois diffuse. Tout cela s’explique probablement, en partie, par des moyens humains et financiers réduits au pire moment. De l’autre, il rend la déception plus lourde, parce que Possessor ne sort pas simplement comme un jeu qui n’atteint pas toutes ses ambitions, mais comme un jeu lancé en pleine crise pour son propre studio.

Possessor(s) Screenshot

Voir un studio que j’admire traverser ce genre de turbulences, tout en continuant à proposer quelque chose de singulier, rend mon regard encore plus lucide sur ce qui fonctionne ou non dans Possessor. On sent une équipe qui veut faire des choses fortes, qui tient à son univers et à ses personnages, mais qui n’a sans doute plus les ressources pour polir chaque aspect avec la précision espérée. Ce n’est pas de la complaisance, simplement le constat que le contexte de production influence forcément le résultat final.

Possessor possède une vraie identité visuelle, un univers intrigant, un duo de personnages attachant et une volonté sincère de raconter quelque chose. Mais il souffre d’un gameplay imprécis, d’un level design trop fonctionnel et d’un manque d’osmose entre ses thèmes et ses mécaniques. Ce n’est pas un mauvais jeu, loin de là. Mais ce n’est pas non plus le jeu marquant que j’espérais. Cette critique a été particulièrement difficile à écrire, parce que le studio traverse une période compliquée, et voir un jeu aussi personnel trébucher à ce moment-là a quelque chose de profondément triste. Possessor n’est ni cynique ni formaté. C’est un jeu qui essaie, qui ose, mais qui n’arrive pas à tout tenir ensemble.

Points positifs


La direction artistique
Les personnages attachants
Les thématiques autour de la cohabitation

Points négatifs


Le gameplay imprécis
Le manque de lisibilité
Le level design peu inspiré
La difficulté artificielle
Le manque de cohésion entre narration et mécaniques

5
Convenable
Possessor a une vraie identité visuelle, un univers intriguant, un duo de personnages attachant et une volonté sincère de raconter quelque chose. Mais il souffre d’un gameplay imprécis, d’un level design trop fonctionnel et d’un manque d’osmose entre ses thèmes et ses mécaniques. Ce n’est pas un mauvais jeu, loin de là. Mais ce n’est pas non plus le jeu marquant que j’espérais. Cette critique a été particulièrement difficile à écrire, parce que le studio traverse une période compliquée, et voir un jeu aussi personnel trébucher à ce moment-là a quelque chose de profondément triste. *Possessor* n’est ni cynique ni formaté. C’est un jeu qui essaie, qui ose, mais qui n’arrive pas à tout tenir ensemble.
DonBear

DonBear

Fondateur

DÉVELOPPEUR :

Heart Machine

ÉDITEUR :

Devolver Digital

DATE DE SORTIE :

11 novembre 2025

PLATEFORME :

PC, PS5, Xbox Series

PRIX À LA SORTIE :

17,99 €
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