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  • Red Dead Redemption 2 : le prix de la démesure

    By DonBear
    Published in Coulisses
    January 30, 2025
    90 min read

    Quand on lance Red Dead 2 pour la première fois, on est très, très vite agacé. On avance à deux à l’heure, la moindre action prend un temps fou, - attend mais là il fait vraiment les poches du mec ? -, y a 2 millions de commandes qui dépendent du contexte, des pavés et des pavés de textes dont seulement 3 personnes sur Terre ont lu l’intégralité, bref on est pas habitué à ce genre de gameplay. Puis on sort des montagnes enneigées et on découvre la beauté du monde, on arrive à Valentine et on découvre la tonne d’interactions possible, on remarque une tonne de petits détails ici et là qui nous glissent doucement l’idée que ce n’est peut-être pas une expérience comme les autres… et doucement, on commence à se prendre au jeu. Est-ce que si je suis ce PNJ, il va réagir ? Ah oui. Et si je m’habille comme ce gars là, il dit quelque chose ? Ah oui, ça aussi ils y ont pensé. Attends, y a toujours la carcasse cet animal que j’ai chassé et elle se décompose ?! Attend mais ce PNJ qui mange, il vide vraiment son assiette ? Et de détails en détails, on commence à se dire qu’ils ont vraiment été très très loin dans le délire. Ouais, en fait, Red Dead 2 tend presque plus vers la simulation que vers le jeu vidéo classique. Et pour y parvenir, ça a demandé des dizaines, si ce n’est des centaines de milliers d’heures de travail. Parce que si vous êtes motivés à rester jusqu’au bout, vous allez voir que le moindre aspect du jeu a été polishé comme jamais aucun jeu ne s’est permis de le faire avant lui. Enfin, j’utilise le terme “permis” mais au-delà de la volonté, c’est peut-être plus une question de moyens. Et pour y parvenir, Rockstar a payé un prix exubérant. Pas Rockstar en tant qu’entreprise, qui de toute façon vivait déjà sa meilleure vie avec GTA 5. Non, moi je parle de ceux qui composent cette entreprise. Ceux qui la font tourner, ceux qui donnent vie à ces mondes virtuels qu’on aime tant. Pour aboutir à un tel résultat, ils vont le payer cher, très cher. L’ambition a un prix, et quel qu’il soit, les dirigeants ne se sont pas demandés si ça valait le coup ou pas. Parce que Red Dead Redemption 2 doit être réaliste, quoiqu’il en coute.

    Prologue : Une histoire mouvementée

    Je commence à avoir quelques coulisses dans les pattes déjà, mais vraiment, ce que je m’apprête à vous raconter, c’est hors du commun. Mais avant de plonger dedans, on va quand même d’abord poser le contexte. Difficile d’être passé à côté du phénomène qu’a été la sortie de GTA V, l’œuvre culturelle la plus rentable de l’histoire de l’humanité. Avec ses 9 milliards de recette, il est loin, très loin devant tout ce qui a pu être produit depuis… Toujours. À titre de comparaison, la deuxième place revient aussi à un jeu vidéo, Minecraft, avec 3 milliards de recette. Soit trois fois moins ! Pourtant, il s’est plus vendu, mais faut prendre en compte qu’il est aussi trois fois moins cher. Si on sort du jeu vidéo, on trouve le film Avatar à la quatrième place, avec 2,3 milliards. Un tel écart, ça fait presque froid dans le dos.

    Mais avant d’être l’oeuvre culturelle la plus rentable de l’histoire, GTA c’était surtout la lie du jeu vidéo aux yeux du grand public. En gros c’est simple : si vous vouliez montrer que le jeu vidéo rend les enfants débiles et qu’il s’agit d’un vrai danger pour la société, vous preniez GTA comme exemple. On parle quand même d’une série qui a été interdite dans plusieurs pays. Aux Etats-Unis, il a pas fallu longtemps pour faire des liens entre GTA et la fusillade de Columbine, et de nombreuses personnalités publiques ont accusé le jeu de tous les maux. Hilary Clinton, candidate à la présidentielle de 2016 et femme de l’ancien président Bill Clinton, était sénatrice au moment de la sortie de GTA 3 et n’a pas lésiné sur les revendications. L’élément déclencheur de sa lutte, c’est la fameuse mission Hot Coffee dans San Andreas, qui était à la base beaucoup moins subtile qu’elle ne l’est dans la version finale. Des modders ont découvert dans le code du jeu que la scène de sexe qu’on voit depuis l’extérieur de la maison était en fait à la base vue de très près et interactive par-dessus le marché.

    Autant dire que cette découverte a choqué tout le monde, dont Hillary Clinton, qui a déclaré que « les jeux vidéo violents sont responsables d’une augmentation de 13 à 22% des comportements violents chez les adolescents, » et qu’il fallait donc « les traiter de la même manière que le tabac ou l’alcool. » Hum, ambiance.

    Et rassurez-vous, en France, on est pas tellement mieux lotis : un syndicat de police demande de retirer le premier GTA des étals dès 1998, GTA 3 s’invite durant les campagnes de l’élection présidentielle de 2002 comme bouc émissaire parfait pour parler des jeux violents, et Nadine Morano en a remis une couche en 2008 avec GTA 4. Donc euh oui, une histoire pour le moins mouvementée.

    Faut dire que ce sont des jeux volontairement provocateurs :

    Toute l’hystérie autour de GTA est totalement intentionnelle. C’est une posture du même type que celles qui ont permis de faire de la publicité aux groupes de rock les Rolling Stones et les Sex Pistols, ou aux spectacles de catch. Marc A. Ouellette

    Les GTA, ce sont avant tout des satires de la société américaine, des jeux destinés à un public adulte, et ils sont arrivés à une période où le grand public considérait le jeu vidéo comme un divertissement destiné aux enfants. Sans aller jusqu’à parler d’avant-gardisme car le terme est un peu fort, ça n’en reste pas moins une série cruciale dans l’évolution du jeu vidéo. Et pas que dans son ton, mais aussi dans son game design : GTA 3 est un des pionniers quand il s’agit de monde ouvert urbain en 3D, encore plus si on parle de jeux de gangsters. C’est pas pour rien que les fameux monde ouvert s’appelaient à l’époque des GTA-like, ça en dit long sur l’influence de la série.

    Tout ça, on le doit au studio Rockstar, et plus précisément à ses deux confodateurs Sam et Dan Houser. Leurs parents ont tout les deux une passion artistique : leur père joue de temps en temps dans un club de jazz à côté de son boulot d’ingénieur, et leur mère est actrice de métier. On est donc pas surpris lorsqu’on apprend qu’ils développent très jeune une passion pour la musique et le cinéma, puis ensuite le jeu vidéo. Bon, je vous passe les détails, mais Sam finit par bosser chez BMG Entertainment après un déjeuner d’affaire avec son père et le directeur marketing du label de musique. Il monte en grade au fil du temps et obtient la mission de gérer les relations entre BMG et leur nouveau partenaire, DMA Design, studio à qui l’on doit entre autre le jeu culte Lemmings. Tout change le jour où le patron de DMA envoie la démo d’un futur jeu, Race’n’Chase, un jeu de course urbain qui, selon Sam, manque de personnalité. Jusqu’au moment où un bug rend la police ultra violente et ouvre de nouvelles perspective : plutôt que de jouer un conducteur propre sur lui qui perd des points en écrasant des piétons, on va jouer un bandit qui gagne des points… en écrasant des piétons. Le but est simple : foutre le bordel partout où on passe. GTA était né.

    Forcément, quand le jeu sort, tout le monde est choqué et plusieurs politiciens cherchent à l’interdire à la vente, les critiques sont relativement positives sans être dithyrambiques, considérant que le jeu est daté visuellement et que le gameplay est hasardeux. Ça ne l’empêche pas de se vendre à 500 000 exemplaires, mais ce n’est pas suffisant pour motiver BMG qui décide de se séparer de sa division opérant dans le jeu vidéo. Le hasard fait bien les choses, puisque Sam rencontre à ce moment là Ryan Brant, fondateur de Take-Two Interactive, qui accepte de racheter BMG Interactive à la condition que Sam vienne vivre à New York. Une fois parti avec trois de ses amis et son frère Dan, Rockstar est créé et les frères Houser finissent par devenir célèbres au fil des succès. En 2009, ils sont classés parmi les 100 personnes les plus influentes de la planète, et en 2015 on a même un téléfilm produit par la BBC avec Daniel Radcliff dans l’un des rôles principaux qui relate leur duel juridique contre un avocat bien remonté.

    Quand on dit Rockstar, on pense tout de suite à GTA, mais faut pas oublier le reste. Depuis sa création en 1998, ils ont notamment développé les Manhunt 1 et 2, Bully qui nous fait jouer un étudiant, L.A Noire et ses enquêtes dans les années 50, et surtout Red Dead Redemption.

    Red Dead Redemption premier du nom est un immense succès, un jeu qui se déroule durant la fin de l’époque de l’Ouest américain. On y incarne John Marston, un hors-la-loi forcé de poursuivre les anciens membres d’un gang dont il a fait partie dans une vie qui semble lointaine. Au-delà d’être un carton critique et commercial avec des prix du meilleur jeu de l’année et une bonne dizaine de millions de ventes, c’est surtout un jeu qui marque. Tout le monde se souvient de l’aventure incroyable qu’il nous fait vivre, de ses personnages, de son ambiance et de sa fin tragique.

    Chapitre 1 – I’ve got a plan

    En fait, Red Dead marque surtout Dan Houser. À peine le jeu sorti, l’univers lui manque déjà et il décide rapidement de se pencher sur une suite. Une suite bien plus ambitieuse, où on plongerait corps et âme au sein de ce fameux gang qui a tant marqué John Marston. Comme le dit Dan, l’idée est « trop attirante pour ne pas s’y intéresser ». Il faut absolument en faire quelque chose, et ça tombe bien, un autre jeu est en préparation. Il va donner exactement ce qu’il faut à Dan pour concrétiser son idée.

    À première vue, GTA V et Red Dead 2 n’ont pas grand chose en commun. À la limite, les deux se passent aux États-Unis et on y joue des hors-la-loi, mais à part ça, rien qui saute aux yeux. Et pourtant, les deux utilisent le même concept : nous faire côtoyer des personnages qui vivent leur vie indépendamment de nos actions.

    GTA V nous fait jouer trois personnages : Franklin, Michael et Trevor. On joue chacun de ces personnages à tour de rôle, mais il y a une chose qu’on remarque vite : c’est que quand on revient sur un perso qu’on a laissé de côté, il n’est absolument pas au même endroit que là où on l’a laissé. En fait, si on joue Michael puis qu’on passe à Franklin, Michael ne va pas rester sans rien faire pendant ce temps. Il va continuer à vivre sa vie, faire sa petite routine tranquille.

    Et ça, ce petit élément qui peut sembler superficiel, c’est en fait ce qui va devenir le cœur même de Red Dead 2. Parce que du coup, ce qu’il se passe dans le gang ne va pas tourner uniquement autour de nous, chaque membre va vivre sa petite vie indépendamment de nos actions. Chacun a une vie propre, et agit indépendamment de notre présence. Ça offre une multitude d’éléments super cool, déjà parce qu’on a la liberté de s’acoquiner avec ceux qu’on préfère et ignorer ceux qu’on aime pas, et en plus l’exposition scénaristique et l’approfondissement des relations devient optionnelle : on peut copiner ou totalement s’en foutre, la décision nous revient entièrement. Et puis en poussant le concept, Dan commence imaginer le camp, qui devient une sorte de maison, où on peut aller et venir et discuter, passer du temps avec nos proches autour d’un feu de camp. Le but, c’est d’éviter le schéma linéaire classique ou on enchaine les missions entrecoupés de cinématiques, et plutôt de créer du lien, quelque chose de tangible. Ça crée une narration totalement différente, et qui en plus utilise à fond la plus grande force du jeu vidéo, la capacité de choisir. C’est pour ça d’ailleurs qu’un film sur Red Dead n’aurait pas du tout la même saveur.

    L’histoire réside dans l’expérience d’Arthur avec le monde autour de lui dans les mains du joueur. On ne pouvait pas avoir une scène bien dramatique et ensuite avoir les personnages redevenir des bots sans esprits quand vient le moment du gameplay. L’énergie et l’ambiance devait persister et ils doivent se rappeler ce qu’il s’est passé. Au final, c’était vraiment un énorme défi. Michael Unsworth, senior creative writer

    Le camp, c’est vraiment le coeur narratif du jeu. Il faut qu’il ait l’air vivant, et surtout, que tout ne tourne pas uniquement autour de nous. En gros, que les membres du gang fassent leur vie, et de manière réaliste, c’est encore mieux. Donc, comme on peut s’en douter, ça parle surtout de chasse et de préparation de nourriture. Mais c’est pas tout, car chaque membre agit en fonction du contexte autour de lui, par exemple en remettant du bois quand le feu vacille. Et ça dépend aussi de leur personnalité : certains sont des lèves tôt, d’autres ont besoin d’un café avant de pouvoir entamer une conversation.

    Une fois qu’on a commencé à mettre ça en place, on a vu une sorte de mouvement qui donnait une impression de vie. On a décidé qui dans le camp ferait ce boulot. Qui est un travailleur et gagne de l’argent ? Qui est paresseux ? On devait écrire des tonnes et des tonnes d’interactions entre eux. Ces éléments tournent sur un système qui les déclenchent dans un ordre différent en fonction d’où vous êtes. Rob Nelson, producteur

    Mais c’est pas tout, parce qu’ils doivent aussi nous servir de boussole narrative. En gros, ils doivent nous tenir informé de ce qui se passe dans le monde, et nous fournir des quêtes pour faire avancer l’histoire. Pour rendre tout ça fluide, les développeurs créent un système appelé en interne walk-and-talk, marcher et parler. Le nom est plutôt transparent : on peut se promener dans le camp tout en parlant avec les gens qu’on croise, sans avoir à s’arrêter. Alors même pour moi, quand je dis ça, ça sonne presque comme une évidence, et pourtant bah y a pas tant de jeux que ça qui le font. Et a vrai dire, je sais même pas si je pourrais en citer 5. En plus de ça, il y aussi ce que les devs appellent des vignettes, en gros des conversations qu’on peut choper à la volée. Les PNJ vont même prendre en compte le fait que vous vous arrêtiez pour les écouter et vous intégrer à la discussion. Et bien évidemment, tout le monde se renseigne et sait donc ce que vous avez fait ou pas, alors qu’on peut faire les missions dans l’ordre qu’on veut. Ils savent aussi ce qui se passe dans les environs, le genre d’infos qui permet de ne pas nous donner l’impression qu’ils sont à l’ouest. Enfin, si, ils le sont et veulent même y rester, mais vous m’avez compris.

    Forcément, ça implique un immense taf d’écriture, parce que c’est un peu ce qui remplace le téléphone de GTA V. Ça imbrique des tonnes de systèmes, ça demande d’écrire des milliers de ligne de dialogues contextuelles, et là on commence déjà à entrevoir l’étendue du travail fourni, et tout ça juste pour donner l’impression que le camp est vivant. C’est très malin parce que ça donne à la narration une forme de toile d’araignée ou les missions, les actions qu’on fait et les personnages, tout est interconnecté. Et évidemment, rien n’est généré procéduralement, tout est créé à la main pour pouvoir garder un contrôle minutieux sur les milliers de détails que ça implique.

    Mais attendez, on va peut-être un peu vite en besogne là. On va revenir un peu en arrière. Là on est en 2011, et Dan commence à imaginer les premiers personnages, en plus de ceux déjà croisés dans le premier qui feront leur grand retour. Parce que oui, dans GTA V, c’est entre guillemets “que” trois personnages. Pour Red Dead 2 et son gang de hors-la-loi, ben hé on parle quand même d’une VINGTAINE de personnages ! Donc il bosse sur le script, il écrit, il écrit, il écrit, et fin 2012, ça commence déjà à être bien épais. C’est à ce moment qu’il décide de parler avec les directeurs des différents studios Rockstar pour évoquer les autres aspects du jeu comme le gameplay, la direction artistique, etc. Et là, ça commence à piquer, parce que le travail qui s’annonce est juste colossal, presque inimaginable, et j’pense d’ailleurs qu’ils ont pas du tout anticipé ce qui allait suivre.

    Mais en tout cas à ce moment là, Dan prend une décision drastique : pour faciliter le développement, il faut selon lui réunir tout le monde dans le même bateau. On connait surtout Rockstar North parce que c’est le studio phare, mais en fait y en a plein : Leeds, Lincoln, Londres, San Diego, Toronto, et ainsi de suite. Ben tout ce monde là, tout ce monde est réuni en un seul groupe pour faciliter les échanges et mettre les équipes au diapason. Et bon, je suis sans doute pas bien placé pour le savoir, mais je sais pas si c’était vraiment une bonne idée. Parce qu’on parle quand même de 2000 personnes, et 2000 personnes sur un seul projet, je vous laisse imaginer le nombre de mails envoyés par jour. Et puis surtout, comme on va le voir après, ça va avoir des conséquences dramatiques sur le rythme de travail, avec l’un des crunch les plus violents qu’on ai jamais vu dans le jeu vidéo, en tout cas publiquement connu.

    Chapitre 2 : Il était une fois dans l’Ouest

    Mais avant de plonger dans ce monde aux millions de détails et quand je dis millions, c’est pas une hyperbole, on va déjà regarder le script. Parce que Dan Houser a eu beaucoup, BEAUCOUP d’idées. En comptant uniquement tout ce qui est relatif au scénario principal, on arrive à 2000 pages. Et Dan a déclaré que si on comptait absolument tout, la pile de feuilles dépassait les deux mètres. Vous imaginez un peu le budget en cartouches d’encres chez Rockstar ?

    Red Dead Redemption 2 est une préquelle. Alors que le premier se passe en 1911, le deuxième se déroule en 1899, grosso modo durant la chute de la frontière américaine. On n’y incarne plus John Marston mais Arthur Morgan, personnage assez classique de l’anti-héros pas si anti-héros que ça. Et surtout, c’est lui qui sert de pont entre nous et le gang Van der Linde, qui fuit l’inexorable progression technologique et les changements sociétaux qui l’accompagne. Grâce aux plans de Dutch, le leader, cette fuite en avant est censée mener au paradis sur terre, mais tout ça va bien sûr mener au délitement des relations dans le groupe, jusqu’à son implosion. On peut y voir un effet miroir entre les deux jeux : le premier Red Dead raconte l’histoire d’un homme prêt à tout pour protéger sa famille, alors que le deuxième parle de son inéluctable destruction. Et comme toujours ou presque avec les jeux Rockstar, le but est bien évidemment de refléter les problèmes du monde actuel.

    Mais surtout, les scénaristes cherchent à représenter de manière crédible les États-Unis de l’époque. Ils veulent mettre en avant « le quotidien des américains en 1899, « dans une nation qui s’industrialise rapidement et qui va bientôt avoir une portée internationale », notamment en appuyant sur la disparité entre les riches et les pauvres, et l’opposition entre urbanisme et ruralité. Après, attention, le but n’est pas d’en faire un jeu historique, loin de là. Comme le dit Dan, c’est exprès pour ça que certains évènements importants de l’époque sont éludés. En gros, Red Dead 2 utilise une période historique comme cadre mais ne cherche pas à la raconter. La nuance peut sembler anodine, mais elle a son importance.

    Créer une connexion entre les joueurs et “un hors-la-loi du 19e siècle dont personne n’a de référence a été un défi. C’est intéressant, ces va et vient entre créer un monde qui donne l’impression d’être historiquement crédible, mais qui est en même temps ancré dans le genre Western, et comment on trouve un équilibre entre les deux. Michael Unsworth

    Et c’est là où ça commence à devenir intéressant. Déjà, faut savoir que plusieurs historiens ont travaillé sur l’univers pour vérifier qu’il n’y avait pas d’incohérences, et apporter des éléments concrets sur lesquels les scénaristes ont pu se baser pour imaginer le scénario et les personnages. Par exemple, le gang de Dutch s’inspire largement de plusieurs bandes ayant réellement existé comme les frères Dalton – oui oui ceux là même qu’on voit dans Lucky Luke, sauf qu’en fait ils étaient 3 et que c’était des marshall devenus des bandits écœurés par la corruption du système – ou un autre gang très connu, le Wild Bunch, célèbre pour ses attaques de trains. Pareil pour les Murfree Blood, ****qui rappellent vachement un clan ayant existé au XVIe siècle en Écosse. Dirigé par Alexander “Sawney” Bean, ils vivaient dans une grotte et mangeaient leurs victimes, en plus d’avoir des relations incestueuses entre eux. Ils en ont d’ailleurs inspirés plus d’un, avec notamment le film La Colline a des Yeux.

    Il y a pleins de personnages qu’on peut plus ou moins rapprocher de personnes réelles : les Aberdeen qui font bien flipper sont inspirés d’un vrai duo de frère et sœur qu’on soupçonne être à l’origine de la disparition de huit personnes. Edmund Lowry Jr., le tueur en série qu’on peut pister dans le jeu, est inspiré de Stephen Richards, un tueur en série connu sous le sobriquet Monstre d’Ohio, qui a tué entre neuf et onze personnes au XIXe.

    Les Pinkerton, c’est la même chose : c’est pas du tout une invention imaginée pour le jeu, c’est une agence qui existe vraiment. Créée en 1850, l’agence nationale de détectives Pinkerton était ce qui se rapproche le plus des forces de l’ordre à l’époque, sauf que c’était une boite privée. Ils gagnent en popularité lorsqu’ils font échouer un complot visant à assassiner le président Lincoln, et vont par la suite se mettre au service des puissants : ils sont surtout appelés pour briser les mouvements de grève ouvriers en les infiltrant. Et, encore une anecdote, ils sont liés à la fête du premier mai : pour la faire courte, une grève se lance en mai 1886 dans une usine pour obtenir la journée de 8 heures. Les Pinkerton s’infiltre parmi les grévistes et vont déclencher un affrontement sanglant entre les ouvriers et les forces de l’ordre, aboutissant à un massacre, connu désormais comme le massacre de Haymarket Square. C’est cet évènement qui va lancer les journées de grève internationales du premier mai. Bref, ce sont des figures très célèbres qu’on retrouve dans Bioshock Infinite, Sherlock Holmes, ou encore Lucky Luke.

    Et il faut croire que les agents Andrew Milton et Edgar Ross qu’on croise dans le jeu sont très réalistes, puisque Take Two s’est pris un procès… par Pinkerton, qui existe toujours, bien qu’ils aient été rachetés par une boite suédoise en 1999. La raison du procès ? Pinkerton exige des royalties pour l’utilisation des personnages, en plus de constater tout le mal que Red Dead 2 fait à leur image car ce sont clairement des “méchants” dans le jeu. Ce à quoi Take Two répondra… avec un procès, avec cette fois comme motif le fait que Pinkerton tente de se faire de la thune sur leur dos, alors qu’elle n’a pas demandé de royalties quand d’autres œuvres dépeignaient elles aussi des agents. Encore que… Elle a bien tenté sa chance avec le groupe Wheezer quand ils ont sorti l’album Pinkerton, ce qui n’a évidemment rien donné. Vous imaginez si on devait censurer toutes les œuvres historiques qui reprennent des noms réels ? Bon, en tout cas, pour Red Dead, les deux parties ont retirés leur plainte, sans plus d’information, donc à priori ils ont réussi à s’entendre de leur côté.

    Pour en revenir au sujet qui nous intéresse, la personne pour qui les Pinkerton bossent dans Red Dead 2, Leviticus Cornwall, il ressemble à une caricature mélangeant plusieurs hommes puissants du XIXe siècle, comme J.P Morgan. On dit de ces types qu’ils étaient tellement puissants qu’ils étaient même au-dessus des lois, leurs influence était si grande qu’ils pouvaient faire à peu près ce qu’ils voulaient.

    Et justement, y a aussi tout un travail sur la représentation des tensions sociales de l’époque, pour rendre le jeu toujours plus immersif. Parce que faut le dire, c’était pas vraiment une chouette période : le fossé entre les riches et les pauvres était gigantesque. On le voit bien dans le jeu, notamment à travers les vétérans. La guerre de Sécession, qui a commencé en 1861 et s’est terminée en 1865, a laissé beaucoup de soldats estropiés : les balles utilisées à l’époque s’appelaient les balles Minié. Elles étaient pensées pour faire le plus de dégâts interne possible chez ceux qui se la prenait, et elles avaient tendance à briser les os en mille morceaux. Avant la guerre, les soins apportés aux soldats étaient vraiment pas fameux. Un pansement, une soupe, et au lit. Je caricature, mais on recommandait vraiment au blessé de juste se reposer, faute de mieux.

    Alors, quand les médecins ont compris qu’amputer le membre touché pouvait éviter l’infection de se propager, ça a pas loupé : parmi les 80 000 opérations chirurgicale faites durant la guerre, 60 000 étaient des amputations. Ça a sauvé beaucoup de vies, 75% des amputations étaient réussies et permettaient au soldat de survivre.

    Mais de fait, beaucoup de vétérans de guerre étaient estropiés. Pour la plupart d’entre eux, c’était des fermiers ou des agriculteurs, et une fois la guerre terminée, ils ne pouvaient plus reprendre leur ancienne activité. Certes, ils recevaient une pension, mais c’était généralement largement insuffisant pour vivre décemment. Le montant varie en fonction de plusieurs facteurs, mais grosso modo, elles étaient aux alentours de 8$ par mois pour un soldat non gradé, ce qui correspond à 300 dollars ramenés à l’inflation d’aujourd’hui. On est d’accord, c’est pas suffisant pour vivre décemment, encore moins avec une famille à charge. Et à l’époque, les boulots manuels représentaient une proportion importante des offres d’emploi. Les vétérans de guerre dépendaient donc de la charité pour survivre, ce qui, vous vous en doutez, n’était pas très rémunérateur.

    Autant dire que les pauvres étaient très très pauvres, et c’est là qu’on repense à ce vétéran qui nous a bien gonflé quand on passait à Valentine. Et pourtant, il n’avait pas le choix : pour lui, c’était ça ou mourir de faim.

    Les autres victimes importantes de l’époque, c’était les natifs américains, qui sont eux aussi dépeints dans le jeu : la quête avec les Wapiti, ben c’est vraiment arrivé. Enfin, en quelques sortes.

    En 1851, le gouvernement des États-Unis et plusieurs tribus amérindiennes signent le traité de Fort Laramie, qui délimite clairement le territoire des natifs et donne le droit au gouvernement de construire des routes et des forts. Il fait suite à de nombreux conflits entre les amérindiens et les colons qui viennent de plus en plus nombreux. Sauf que le traité n’est pas respecté par les colons qui viennent se servir en ressources naturelles sur le territoires des amérindiens, et en 1866 éclate la guerre de Red Cloud. À la fin de celle-ci deux ans plus tard, qui voit les amérindiens gagner, un deuxième traité portant toujours le nom de Fort Laramie est signé à nouveau. Et encore une fois, ça ne sert à rien : en 1874, donc six ans plus tard, la découverte d’or dans la région pousse les colons à violer le traité en s’installant sur le territoire des tribus pour piller les ressources naturelles. Pour gérer la situation, le gouvernement tente d’acheter les terres, ce que les tribus refusent. Ben ils le prennent plus ou moins de force, amenant la fameuse bataille de Little Bighorn en 1876. Finalement, en 1877, les États-Unis s’emparent des territoires amérindiens, dont les fameuses Black Hills, un lieu sacré pour eux.

    Dans les années 20, la tribu Osage finit par s’installer dans le nord-est de l’Oklahoma après des années de migrations forcées. Et il se trouve que ces terres contiennent d’importantes réserves de pétrole : en vendant les droits de forage, les Osages deviennent extrêmement riche. Sauf que, bien évidemment, ça attire les rapaces, et des hommes d’affaires vont venir foutre le bordel avec des histoires d’intimidations, de mariages forcées, et même de meurtres. Si ça vous rappelle quelque chose, c’est normal, c’est le sujet du dernier film de Scorcese, Killer of the flower moon, qui adapte un livre du même nom.

    Avec ces deux exemples, on voit bien que les tribus amérindiennes ont été largement maltraitées durant cette période. Et c’est justement ce qui est raconté à travers l’arc narratif des Wapiti dans Red Dead 2. Un peuple qui lutte contre l’expropriation de ses terres par le gouvernement et les compagnies minières.

    Et parmi les mal loties, il y avait aussi les femmes. Comme on peut le voir durant une courte mission, les suffragettes ont tenté de se faire entendre lorsqu’on a refusé le droit de vote aux femmes. Peine perdue, puisque le 19eme amendement qui leur donne ce droit ne sera voté que 20 ans plus tard, en 1919.

    Et on pourrait continuer comme ça encore longtemps : par exemple, Rockstar ne ferme pas les yeux sur l’exploitation des personnes racisées. Mais il faut quand même nuancer tout ça, parce que ça reste largement adouci par rapport à la réalité. Les Afro-américains étaient considérés comme des citoyens de seconde zone, victimes d’une ségrégation instauré par les lois Jim Crow. Ils subissaient le racisme le plus décomplexé possible, à une échelle sociétale, ou était admis les discriminations individuelles. Les États-Unis avaient beau avoir aboli l’esclavage, ça ne les empêchait pas de maltraiter la population Afro-Américaine, en laissant par ailleurs libre cours à des lynchages, qui se transformaient parfois en pogromes sans qu’aucun des auteurs ne soit reconnu coupable par la justice. Pour les tribus amérindiennes, c’est pareil : ce qu’on voit avec les Wapiti, c’est rien par rapport à la vraie histoire, où ils ont fini par être dépendants économiquement du gouvernement avec des lois qui ont été votées dans les intérêts des états-unis au détriment des natifs. Et pour finir l’histoire des Black Hills, le lieu sacré retiré de force aux amérindiens, faut savoir qu’il est encore contesté aujourd’hui, et que les tribus réclament toujours leur restitution, ou une compensation pour la prise illégale de leurs terres.

    Pour finir sur la crédibilité historique, j’aimerais parler d’un des lieux les plus importants du jeu : Saint Denis. Cette immense ville fait partie des grosses claques du jeu quand on la découvre : y a du monde partout, des usines et des rails alors que les villes jusque là étaient plus rurales, et vraiment ça donne presque l’impression d’étouffer. C’est une coupure nette par rapport à tout ce qu’on a vu jusque là, une claque qui montre bien l’écart entre une ville industrialisé et une ville plus classique pour l’époque.

    Et ce sentiment, c’est sans doute ce que ressentaient les gens en arrivant à la Nouvelle Orléans, le plus gros port du sud des États-Unis à la fin du XIXe siècle. Saint Denis en est clairement inspiré, et il y a même des références subtiles, comme les ragots autour de la mort de Henry Jenkins, qui font référence au meurtre de David Hennessy en 1890, chef de la police locale, qui aboutira d’ailleurs à l’un des lynchages de masse les plus importants dans l’histoire des États-Unis avec la mort de onze italiens en raison de leur prétendue participation au meurtre.

    Sur une note plus légère, l’interaction qu’on peut avoir avec un vampire (oui oui) est une référence à la forte présence de vampires dans la culture historique de la Nouvelle Orléans, comme par exemple la légende du comte de Saint Germain. Même si, en vrai, le vampire qu’on rencontre est plutôt basé sur le Comte Orlock du film Nosferatu. Le nom choisi est sans doute une référence à Denis de Paris, le premier évêque de Paris, qui en est le patron… et aussi celui qu’on invoque pour lutter contre les maux de tête. La légende raconte qu’au IIIe siècle, lorsqu’il a été décapité par un soldat romain, il est resté debout, a ramassé sa tête, et s’est mis à marcher tranquillement plusieurs kilomètres jusqu’au lieu où il est enterré, qui est devenue la basilique Saint-Denis. Mais pour en revenir à la ville, ça explique sans doute pourquoi on trouve beaucoup de devantures écrites en français.

    Là, on commence à voir le travail monumental qu’il a fallu pour rendre le jeu crédible, et encore, j’ai pas abordé l’aspect visuel pour l’instant. Parce que oui, de ce côté là aussi, c’est un peu le même délire de précision dans les détails. Mais concernant l’écriture, c’est pas tout, il y a forcément eu des problèmes et des choix à faire pour les régler. Le moindre détail anodin demande de se creuser les méninges. Tiens bah typiquement, comment est-ce que les gens parlaient au XIXe siècle ? Il ne faut surtout pas rendre les personnages clichés parce que le jeu est long et que ça deviendrait vite insupportable, mais il faut quand même les rendre compréhensibles pour nous qui vivons au 21e siècle.

    Alors au début, les scénaristes commencent à regarder de vieux westerns pour s’inspirer de leur façon de parler. Sauf que, ouais, les vieux westerns, ben c’est très cliché. Alors ils ont opté pour la solution la plus efficace, à défaut d’être la plus facile : faire des recherches. Ça leur a permis d’éviter les anachronismes, et surtout d’intégrer des expressions et des dialectes de l’époque. Une fois encore, le sens du détail est tout bonnement mirobolant : pour coller au mieux à l’époque, les scénaristes se sont rendus à la Bibliothèque du Congrès à Washington, la bibliothèque nationale américaine et accessoirement la plus grande du monde. Ils épluchent tout ce qui peut coller avec le jeu : des vieilles photos, des articles de l’époque, des livres, etc. Une véritable mine d’or, qui leur permet même de respecter les polices d’écritures utilisées dans les journaux de l’époque. Et pour réussir à connecter une audience moderne avec tout ça, le meilleur moyen reste encore de créer des personnages nuancés et des thèmes qui peuvent résonner encore aujourd’hui.

    L’histoire semble fidèle à l’époque, mais reste compréhensible pour une audience moderne. On a fait ça en trouvant des thèmes. Quand vous pensez au premier jeu, qui racontait l’histoire d’un hors-la-loi ramené à son ancienne vie pour protéger sa famille, c’est quelque chose que tout le monde peut comprendre. Avec Red Dead Redemption 2, l’idée était plutôt de faire partie de ce gang et regarder la désintégration d’une famille, quelque chose où beaucoup de gens peuvent s’identifier. Michael Unsworth

    Je pense qu’on est tous d’accord pour dire que ça a beau se passer il y a plus de 100 ans, tous ces personnages pourraient très bien vivre à notre époque. Ils sont écrit d’une manière si nuancée, si riche qu’ils semblent presque vivants, tout en étant pourtant basés sur les tropes habituels. Hosea, c’est un peu le gentil papi. Bill, c’est l’oncle grincheux, John le petit frère trop fougueux et pas assez mature, Abigail la pote trop bien pour le mec avec qui elle est, Charles c’est le gars sûr, Grimshaw la mère autoritaire, et ainsi de suite, et Dutch c’est bien sûr le gars qui a toujours une idée farfelue en tête, celui qui donne l’impression d’avoir l’horizon comme seule limite avec ce que ça engendre comme conséquences. Tout ça, c’est des persos qu’on connait, qu’on a déjà vu, et qui nous rappelle peut-être même des gens de notre entourage.

    C’est ça, la force de l’écriture de Red Dead 2 : cette famille crée par la force des choses baigne dans la réalité, avec toutes les petites nuances que ça exige pour donner l’impression d’être vrai. Cette impression, elle passe bien sûr par la tonne de dialogues, qu’ils soient moteur de l’histoire ou non, mais aussi justement par ces thèmes plus généraux, qui sont encore au cœur de nos codes moraux. La peur du progrès, l’ambigüité morale, les conséquences d’une ambition démesurée, l’héritage qu’on laisse aux générations futures, la manipulation d’un groupe par un leader charismatique, bref c’est des choses ancrées dans nos quotidiens, encore aujourd’hui. Le monde de Red Dead 2 n’est qu’un miroir de notre époque, et ceux qui y vivent semblent presque calqués sur ceux dont on entend parler au quotidien.

    L’histoire de Red Dead Redemption 2 est ambigüe, et je crois que c’est pour ça qu’elle marque autant. Elle est à l’image d’Arthur, qui est incontestablement l’un des protagonistes les mieux écrits du jeune médium qu’est le jeu vidéo. Tout dépend comment on le joue, mais si on suit le chemin plus ou moins prédéfini par les développeurs, on découvre une ambivalence encore bien trop rare. On va pas se voiler la face, Arthur est un sale type. Ce qu’il lui arrive, ce n’est que la conséquence de ses mauvaises actions. Si on fait une liste et qu’on établit tout ce qu’il fait, on peut difficilement dire objectivement que c’est un ange. Et pourtant, d’un autre côté, c’est un type loyal, qui fait tout ce qu’il peut pour ses proches, qui se remet en question, qui n’hésite pas à suivre sa propre boussole morale quitte à se mettre en danger, qui n’abandonne pas les autres. Et ça, c’est pas le portrait d’un hors-la-loi sans foi ni loi, c’est plutôt le portrait d’un homme intègre. C’est là tout le paradoxe du personnage, et si on y regarde bien, de l’ensemble des êtres humains qui peuvent être à la fois d’énormes raclures dans certaines circonstances, et admirables dans d’autres.

    Évidemment, donner vie à tout ça représente un travail d’écriture colossal, qui s’étale sur plusieurs années. Et pourtant, on a pas tout vu ! Parce que quelques idées ont été jeté à la poubelle. Soit par manque de temps, soit parce que les scénaristes considéraient que c’était superflu. On peut parler entre autre d’une deuxième romance pour Arthur avec Eliza, la femme avec qui il a eu un enfant, et qui devait avoir une place très importante dans le jeu. Elle devait faire partir du gang pendant une grosse partie du jeu et même apparaitre durant l’épilogue. Quant à Isaac, l’enfant qu’elle a eu avec Arthur, devait mourir de froid au début du jeu à cause de la tempête. Guarma devait être entièrement explorable et devait avoir beaucoup plus de missions, avec des personnages qui ont eux aussi été supprimé de la version finale. Et ça, c’est pour les trucs importants, mais on a à côté une tonne de détails supprimés. Des personnages, des mini jeux, des vêtements, des armes, des missions dont une où on devait braquer un train, des objets, des animaux, et la liste est encore longue. C’est quelque chose de normal dans le développement d’un jeu, une idée finit par être considéré comme mauvaise parce qu’elle nuit soit au gameplay, soit au développement des personnages, enfin en gros elle n’apporte rien à l’expérience. Mais quand même, pour être honnête, j’aurais vraiment aimé voir ce que les scénaristes avaient prévus pour Eliza.

    Mais attendez, parce que c’est pas ça le pire. Tout ce travail de recherches, ces références subtiles et cette cohérence, en plus des personnages nuancés et du scénario prenant, tout ça c’est qu’une goutte d’eau dans la quête de réalisme. Et la deuxième étape, celle qui va vraiment donner vie aux personnages, c’est la motion capture.

    Chapitre 3 : Le bon, la brute et le truand

    Tous ces personnages que l’on rencontre, avec qui on passe du temps, il n’y a pas que les dialogues qui les rendent vivants, il y a aussi les acteurs qui les incarnent. Alors je vais pas tous les citer parce que ça serait très long, mais pour en dire quelques uns Benjamin Byron Davis incarne Dutch, Alex McKenna joue Sadie, Peter Blomquist joue Micah, Curzon Dobell joue Hosea, et ainsi de suite. Petit truc intéressant tout de même, Noshir Dalal, l’acteur qui joue Charles est d’origine mi-parsi mi-Japonais, et il vit aux Etats-unis. Il était donc facile pour lui de faire des parallèles avec son personnage. Et au passage, il cassait beaucoup de trucs, au point où l’équipe a mis en place un “break jar” où il devait mettre 1 dollar chaque fois qu’il cassait quelque chose.

    Concernant les Marston, Rob Wiethoff reprend le rôle de John, et Abigail, qui était jouée par Sophia Marcozzi dans le premier est maintenant interprétée par Cali Moore. Quant au Petit Jack, c’est plus compliqué. Il a été joué par plusieurs personnes et pas que des enfants. Forcément, c’est plus difficile d’obtenir un bon jeu d’acteur de la part d’un enfant, donc c’est pas un choix très surprenant. Si on doit retenir deux noms, ce sont surtout Marissa Buccianti et Ted Sutherland.

    Et le meilleur pour la fin, Arthur Morgan est interprété par Roger Clark. Allez, je fais une petite sortie de route rapide, mais j’suis obligé d’en parler. Maintenant on le connaît tous, on a tous en tête ses “that’s my girl”, mais en fait Roger Clark c’est un vieux de la vieille. Son premier casting dans un jeu vidéo, il date pas d’hier, et c’est un rôle plutôt inattendu.

    Tifa meets Arthur Morgan | Roger Clark and Britt Baron interview each other

    En tant que personnage principal et le seul jouable pendant 90% du jeu, c’est beaucoup de poids sur ses épaules. Comment on se prépare à jouer un rôle aussi important ? Déjà, il est fan du premier Red Dead, donc il connaissait l’univers, et il l’aime tellement que la première scène qu’il a dû tourner avec Rob a pas été facile.

    **Red Dead Redemption Voices at MomoCon 2019**

    Faut dire aussi que ça a été une source d’inspiration pour le rôle d’Arthur, aux côté d’autres figures célèbres et qui correspondent plutôt bien au style du perso : John Wayne, le plus célèbre cowboy, et Toshiro Mifune, connu notamment pour son rôle dans les Sept Samourai. Étonnamment, il a pas du tout cherché à recopier Clin t Eastwood, parce qu’il considère ses personnages trop taciturnes. Arthur est un personnage qui évolue, qui finit par montrer sa vulnérabilité, et qui a finalement beaucoup de dialogues, donc effectivement, ça collait pas trop.

    On a les acteurs, sauf que le tournage de Red Dead 2 a été très particulier, j’irais peut-être même jusqu’à dire unique dans le monde de l’audiovisuel. Mais avant, juste pour être sûr, on va d’abord mettre tout le monde au diapason.

    Bon, à priori, pour peu que vous vous intéressiez au jeu vidéo ou au cinéma, vous avez déjà entendu les mots motion capture. Sinon, pour faire très court, c’est une technologie utilisée pour enregistrer les mouvements d’acteurs et les appliquer à des personnages numériques. Ces combinaisons avec des balles de ping pong, c’est ce qui permet d’enregistrer les mouvements : des caméras les filment en direct, et une fois que c’est calibré en général via une T-pose, les animateurs voient les mouvements des acteurs en direct dans le logiciel. C’est devenu la référence vers le milieu des années 2000, notamment pour les blockbuster hollywoodiens ou les triple A dans le jeu vidéo. Mais, il manque un truc essentiel : les expressions faciales. Par exemple pour le premier The Last of Us, l’utilisation de la motion capture permettait d’avoir les gestuelles des persos, mais les animations faciales et la synchro labiales ont ensuite été entièrement faites à la main. C’est là qu’entre en jeu la performance capture, la suite logique de la motion capture. Cette fois, on place aussi des caméras devant le visage des acteurs pour avoir le meilleur rendu possible. Dans le cinéma c’est arrivé vers la fin des années 2000 notamment avec le film Avatar, et ça a suivi dans le jeu vidéo quelques années après, avec L.A Noire et Beyond Two Souls. Même si la technologie était encore balbutiante à ce moment là, on voit aujourd’hui les progrès assez fous dans des jeux comme The Last of Us 2, et bien évidemment le jeu qui nous intéresse, Red Dead Redemption 2.

    Mais au-delà même de la technologie utilisée, Rockstar va mettre les petits plats dans les grands. J’vais me répéter encore, mais vraiment les chiffres sont juste hallucinants. Ayez bien en tête que dans un cadre normal, un studio de performance capture coûte en moyenne 5000 dollars la journée. C’est pour ça d’ailleurs que pour The Last of Us 2, il y avait pas mal de pression sur les acteurs car s’ils faisaient trop de prises, ben ça faisait très vite gonfler la facture. Bon, pour Rockstar, la question se pose pas vu qu’ils possèdent leur propre studio de performance capture, mais c’est pour donner un ordre d’idée.

    Bref, je vais pas vous faire languir plus longtemps : Red Dead Redemption 2, c’est 5 ans de tournage avec plus de 1200 acteurs et 500 000 lignes de dialogues. Le tournage a commencé en 2013, et oui si on regarde le calendrier, ça veut dire que des personnes bossaient déjà sur Red Dead 2 avant la sortie de GTA V. Il s’est terminé en aout 2018, deux petits mois avant la sortie du jeu. Et je sais même pas quoi ajouter tellement l’ampleur du truc est colossale, c’est du jamais vu pour un jeu vidéo, et même les plus gros blockbusters hollywoodiens ne lui arrivent pas à la cheville. Par exemple, la Planète des Singes ou Endgame, c’est quelques dizaines d’acteurs. Même Avatar 2 qui est pourtant salué pour sa technique, il ne représente “que” 18 mois de tournage et une centaine d’acteurs pour la performance capture. On est très, très loin des 5 ans de tournage avec 1200 acteurs. Entre GTA V et ses 9 milliards de recette et le tournage de Red Dead 2, vraiment Rockstar est toujours dans des extrêmes inatteignables.

    Et pire encore, ils ont pas enregistré que des humains, parce qu’il y a aussi eu un cheval qui a fait de la motion capture ! Ce qui est bien sûr une grosse galère, déjà parce que ça demande beaucoup plus d’espace pour enregistrer un cheval au galop, mais aussi parce que les combinaisons pour la motion capture tiennent pas bien sur les chevaux. En plus, un cheval court différemment en fonction de la présence d’un cavalier ou non, ça nécessite donc de l’enregistrer deux fois. Petite anecdote au passage, il fallait un cascadeur professionnel pour monter à cheval parce que c’est pas aussi facile qu’on le croit, surtout dans ce genre de conditions. Et ce cascadeur, c’est Brendan Wayne, le petit fils de John Wayne. Dans le même genre, l’acteur qui joue l’agent Milton est un descendant de Bill Hicock, une figure emblématique de l’Ouest américain. Soit le monde est vraiment très petit, soit c’est des drôles de coincidences.

    En tout cas pour la montée à cheval, heureusement qu’ils ont fait appel à un professionnel :

    Sans qu’on le sache, un des gestes qu’on utilisait était le même qui faisait cabrer Blanco, transformant notre cheval accommodant en sa version la plus intimidante et également notre pire cauchemar si le le cavalier le montait à ce moment-là. Bass

    Ouais, apparemment, ça lui est arrivé plusieurs fois de faire un vol plané, ce qui est sacrément dangereux. Et au passage, il y a aussi eu les chiens de certains développeurs qui ont participé à la motion-capture.

    Mais revenons en à nos acteurs. Comment on organise un tournage où on doit jouer 500 000 lignes de dialogues ? Ben en fait, ça s’est pas vraiment passé comme ça. Bon, déjà, faut bien prendre en compte que les acteurs ne venaient pas tous les jours sur le plateau. Par exemple, dans le cas de Roger Clark, son planning consistait généralement à venir 3 semaines, tourner des scènes, puis avoir deux semaines de pause. Comme c’est le personnage avec le plus de lignes de dialogues - plus de 80 000 -, c’est probablement celui qui a été le plus présent. Et du coup, en fonction des plannings, ça arrive de temps à autre que les acteurs jouent d’autre rôle que les leurs. Et des fois, ça donne des situations totalement rocambolesque :

    [14:39 - 15:22 Red Dead Redemption Voice Actors at MomoCon 2019]

    Maintenant que je vous ai ruiné une des scènes les plus touchantes du jeu, il y a aussi eu beaucoup de modifications faites durant les 5 années qu’ont duré le tournage. Ces 500 000 lignes de dialogues - j’suis choqué un peu plus chaque fois que je dis ce chiffre - ont pas été écrites avant le début du tournage. Y a eu énormément de changements, de réécriture. Certains passages sont rajoutés après avoir tourné une scène car elle donnait l’impression de manquer de quelque chose et parfois, certaines lignes sont supprimées. Comme les acteurs donnent vie aux personnages, l’écriture s’adapte en partie à la personnalité qu’ils construisent.

    Roger Clark on Motion Capture, Red Dead Redemption II, Growing up Gaming and More | BAFTA Insights

    Red Dead Redemption Voices at MomoCon 2019

    Pour autant, les acteurs restent souvent dans le flou. Parce qu’ils ne tournent pas les scènes de manière linéaires, la première scène qu’ils enregistrent ne correspond pas à leur première apparition dans le jeu. Ils tournent un bout de scène, puis enchaîne avec une autre scène totalement décorrélée de la précédente.

    13:48 - 13-58 Red Dead Redemption II Cast Panel | Comic-Con Scotland 2022

    05:12 - 05:38 Red Dead Redemption II Cast Panel | Comic-Con Scotland 2022

    Du coup, les acteurs apprennent eux aussi à connaitre leurs personnage au fil du temps : par exemple, McKenna considère qu’il lui a fallu deux ans pour apprendre à vraiment connaitre Sadie et la comprendre. Mais bon, de son propre aveu, ça la rendait trop curieuse, alors elle et d’autres acteurs se sont mis d’accord pour partager leur bout de script, histoire d’avoir une meilleure vision d’ensemble. Ce qui est vraiment intéressant avec cette façon de faire, c’est déjà qu’elle permet aux acteurs de vivre un peu la même expérience que la notre : comme le tournage a duré longtemps, lorsqu’ils commencent à assembler les pièces du puzzle, ils voient où l’histoire les mène et, quelque part, eux aussi ont été très touchés :

    Red Dead Redemption II Cast (Sunday) [SacAnime Summer 2019]

    Bon, et puis des fois, le script leur met la puce à l’oreille, et ils devinent tout de suite où l’histoire va les emmener.

    Red Dead Redemption Voices at MomoCon 2019

    Et on pourrait croire que c’est plus simple pour les acteurs qui jouent les personnages déjà présents dans le premier, parce que oui forcément, s’ils sont dans le premier c’est qu’ils ont survécu. Mais non, en fait c’est pas forcément plus simple. Parce qu’entre le tournage du premier Red Dead et du deuxième, il s’est passé quatre ans, voire peut-être plus pour certains acteurs. Il faut alors reprendre un rôle, des intonations et une voix qui ont pu changer au cours du temps. Par exemple, Benjamin Davis a arrêté de fumer, et comme il le dit lui-même, ça peut s’entendre :

    **Red Dead Redemption Voices at MomoCon 2019**

    Et pour Roger Clark, en tant que personnage incarné par le joueur, y a une difficulté supplémentaire : Red Dead 2 nous laisse la possibilité de jouer comme un saint ou presque, ou de nous comporter comme la pire des raclures. On a une fin différente en fonction de nos actions durant l’aventure, et même si Arthur a une personnalité bien définie, on influe quand même beaucoup sur la caractérisation du personnage. Pour Roger Clark, ça veut donc dire enregistrer différents caractères pour Arthur, et surtout les rendre crédible dans tous les cas. Parce que c’est certes son métier de se mettre dans la peau du personnage et de mettre ses valeurs personnelles de côté, mais là, la tache est d’autant plus difficile que la construction du personnage qu’il s’est faite intérieurement est contredite par les actions qui sont commises en fonction de la personne qui tient la manette. Et autant le dire, ça a été un sacré défi !

    Red Dead Redemption Voice Actors at MomoCon 2019

    Mais alors, comment se déroule une séance de tournage ? En règle générale, les acteurs reçoivent les lignes à apprendre et sont conviés une ou deux semaine plus tard pour les tourner. Une fois sur place, ils enfilent leur tenue de motion capture, qui selon les témoignages des acteurs est très inconfortable, en plus de donner un style ridicule. Mais toujours selon eux, on s’y habitue, et ça ne les empêche pas de se donner à fond dans leurs rôles. Sauf qu’il y a une difficulté en plus dans ce genre de tournage : il faut avoir beaucoup d’imagination. Imaginez vous être dans une grande salle blanche, avec pleins d’outils en tout genre et des gens habillés en combinaison de plongée avec des balles de ping pong dessus. Juste avec ça, vous devez croire que vous êtes dans une ville du far west ou sur une montagne enneigée. Après, ils ont quand même les animateurs pour les aider : ils leur détaillent exactement ce qu’ils ont besoin de savoir, et ils peuvent aussi s’aider d’un écran de prévisualisation, qui montre la scène en temps réel. Grâce à ça, les acteurs peuvent voir leur personnage virtuel imiter leur mouvement, mieux comprendre l’ambiance de la scène, etc.

    Red Dead Redemption Voices at MomoCon 2019

    La question légitime, au-delà du manque d’immersion pour les acteurs, c’est de savoir comment ils font pour aller chercher des émotions réelles dans un cadre pareil. Parce que oui c’est leur métier, mais je pense que des conditions propices doivent quand même bien aider à aller chercher de la colère ou de la tristesse au fond de soi. En fait, le tournage de Red Dead 2 a été un peu spécial. Parce que les scènes avec plusieurs personnages ont été tournées avec les personnages réellement sur place. Donc si dans une scène y a 20 personnages, ça veut dire qu’il y avait vraiment 20 personnes sur le plateau. Dans pas mal d’interviews que j’ai regardé pour écrire cette vidéo, les acteurs parlent de performance théâtrale. En fait pour eux, c’était un peu comme jouer au théâtre, les réactions du public en moins.

    Ça peut paraître évident dit comme ça, mais c’est en fait assez rare lorsqu’on parle de motion capture. Avec autant de personnes, les capteurs ont tendances à se mélanger et ça devient vite du grand n’importe quoi. Par exemple, les mouvements d’une personne sont cachés par une autre, ou alors si les personnages sont trop près le logiciel va interpréter tel mouvement comme celui de tel acteur alors qu’en fait c’était l’autre qui bougeait, etc. Un vrai casse-tête, mais qui a été permis par l’avancée de la technologie. Et on se retrouve donc avec un plateau ou il y a plusieurs dizaines de personnes sur place. Alors bien sûr, ça remplace pas un décor réel, mais ça donne malgré tout une consistence aux personnages qui sont donc physiquement présents.

    Red Dead Redemption Voices at MomoCon 2019

    J’ai pas beaucoup insisté dessus, mais c’est tellement énorme que je n’arrive pas à me rendre compte de ce que doivent représenter ces cinq années pour les acteurs. cinq ans c’est long, très long. Des membres du casting se sont mariés, ont eu des enfants, et ils continuaient à être dans la peau de leur personnage. Benjamin Davis raconte qu’entre le début et la fin du tournage de Red Dead 2, il a eu le temps de jouer dans deux films, qui ont tout les deux eu le temps de sortir avant la fin du tournage. J’veux dire, c’est tellement long que ça donne lieu à ce genre de moment totalement surréaliste :

    Tifa meets Arthur Morgan | Roger Clark and Britt Baron interview each other

    Mais même sans parler des conditions logistiques ou deux personnes peuvent se retrouver après 3 ans pour tourner une scène, mettez vous à la place des acteurs principaux. Cinq ans dans la peau d’un personnage. Cinq ans à penser comme un hors-la-loi en 1899. Je pense vraiment que c’est une expérience que peu de gens du métier ont vécu, voire c’est potentiellement jamais arrivé. Forcément, ça crée un lien particulier entre les acteur et les personnages qu’ils incarnent. Et plutôt que de le dire avec mes mots, autant laisser les principaux concernés s’exprimer sur la question :

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    29:56 - 30:27 Red Dead Redemption II Cast (Sunday) [SacAnime Summer 2019]

    38:57 - 39:45 Red Dead Redemption II Cast [SacAnime Summer 2019]

    27:55 - 28:12 Red Dead Redemption II Cast [SacAnime Summer 2019]

    Et même sans parler des liens qu’ils développement avec leurs personnage, c’est aussi toute une partie de leur vie où leurs seuls compagnons de route, ce sont leurs collègues. Parce que les clauses de confidentialité sont très strictes pour éviter tout potentiel leak, chaque personne qui bosse sur le jeu ne doit en parler à personne. Alors, sans doute que certains acteurs l’ont dit à quelques proches de confiance, mais dans l’ensemble, ils devaient tenir leur langue, et quelque part, ça crée une sorte d’isolement. Mine de rien, on sociabilise énormément par le travail : en général, quand on rencontre quelqu’un, l’une des premières questions qui arrive, c’est “et sinon, tu fais quoi dans la vie ?”. Et donc pour le gang Van Der Linde, ça représente cinq ans de silence forcé. Il n’y a qu’entre eux qu’ils peuvent parler librement, sans avoir peur de faire une gaffe. Et forcément, ça crée un lien unique entre les gens :

    15:56 - 16:35 Roger Clark on Motion Capture, Red Dead Redemption II, Growing up Gaming and More | BAFTA Insights

    Ça crée obligatoirement une relation particulière entre eux. Imaginez Rob et Sophia qui jouent John et Abigail, cinq années à jouer un couple. La scène de demande en mariage était d’ailleurs très émouvante durant le tournage. Parce que ouais, c’est vraiment devenu une bande de pote au fil du temps. Cinq ans à se côtoyer, à vivre un truc que personne d’autre sur Terre ne vit, ça crée un lien indéfectible. Et c’est ça qui rend le gang si authentique dans le jeu. Les vraies personnes, celles qui ont prêté leur corps, leurs visage et leurs voix à ces pixels, ce sont elles qui leur ont insufflé la vie, ce sont elles qui nous ont permis de vivre tant d’émotion avec eux. Et finalement, ces émotions qu’on vit, ce sont eux les premiers à les avoir vécues :

    47:04 - 48:25 Red Dead Redemption Voices at MomoCon 2019

    Mais attendez, c’est pas ça le pire. Parce que Red Dead Redemption 2, c’est bien plus que les aventure d’un gang. Red Dead Redemption 2, c’est aussi un monde. Et pas n’importe lequel : c’est le monde virtuel le plus réaliste jamais créé.

    Chapitre 4 : What a wonderful world

    C’est rare qu’un jeu nous donne cette impression d’immensité, que la nature semble omniprésente à chaque instant. On pourrait presque sentir la moiteur des marais, le calme des plaines, la douceur réconfortante des forêts et l’écrasante présence des montagnes. En fait, Red Dead 2 s’éloigne considérablement de ce qui se fait habituellement dans les AAA, où la direction artistique s’inspire du cinéma. Pour se démarquer, Rockstar a plutôt lorgné du côté pictural, et plus particulièrement d’un courant artistique du XIXe siècle : la Hudson River School.

    Allez, on repart sur une parenthèse. On est de retour au XIXe siècle. Alors que les États-Unis poursuivent inlassablement leur progression vers l’Ouest, un groupe de peintres décide de capturer la grandeur de cette nature sauvage. C’est comme ça que Thomas Cole, inspiré par le romantisme et le naturalisme, devient le fondateur du premier mouvement artistique américain. La Hudson River School, qui doit son nom à la vallée de l’Hudson ayant servi d’inspiration aux peintres et qui, au passage, n’est absolument pas une école, pose au coeur de ses considération le Sublime. Bon, je fais comme si c’était quelque chose de glamour, mais en réalité, c’est plutôt l’inverse : c’est un concept popularisé par le philosophe Edmund Burke au 18e siècle, qui désigne dans l’art ce qu’on appelle la « terreur délicieuse » : une émotion véhiculée par une oeuvre qu’on peut apparenter à de la passion enracinée dans la peur. Allez savoir pourquoi, mais ça me rappelle vachement l’horreur cosmique de Lovecraft.

    Ceci dit, la définition du sublime varie en fonction des auteurs, par exemple pour Kant c’est la supériorité de la raison sur la nature. Et surtout, gardez bien en tête que je vulgarise à fond, et que c’est bien plus compliqué que ça en réalité mais ça serait beaucoup trop long de tout décortiquer. Par contre, il y a bien quelque chose qui revient peu importe les auteurs et les époques : le rapport à la nature. Et ça tombe bien, c’est ce qui est au cœur de la Hudson River School. Les vastes paysages américains offrent un cadre idéal pour explorer la notion du sublime, en plus d’être dans la continuité du romantisme qui cherchait à représenter la nature comme une force vivante et souvent menaçante. Attention toutefois, la nature était dépeinte de manière réaliste, mais pas forcément de manière précise : les paysages ne représentaient pas des lieux concrets, mais plutôt des allégories.

    C’est quelque chose qu’on retrouve dans Red Dead 2 : déjà, si on regarde la carte, elle n’est absolument pas conforme à la réalité, tout en représentant pourtant ces paysages idéaux de l’Ouest américain. Et surtout, on a dans les deux cas une échelle de grandeur entre l’homme et son environnement : la nature est vaste, impressionnante, alors que l’homme semble minuscule, presque écrasé. Quand on passe dans les montagnes des Grizzlies, on se sent entourés de géants inébranlables, on n’est qu’un passager dans une immensité sauvage. La nature est à la fois belle et intimidante, l’Ouest américain aussi magnifique qu’impitoyable.

    Pour parler plus pragmatiquement, les oeuvres de la Hudson River School se distinguent par leur usage de la lumière, des couleurs saturées et des compositions contemplatives. Et finalement, c’est exactement pareil dans Red Dead Redemption 2.

    Nous avons voulu créer une atmosphère palpable où le joueur pourrait presque sentir le vent sur son visage. Pour cela, nous nous sommes directement inspirés des maîtres du paysage comme Bierstadt et Turner, qui savaient manipuler la lumière pour évoquer à la fois la beauté et l’immensité de la nature. Owen Shepperd, directeur de l’éclairage

    Prenons par exemple les montagnes d’Ambarino. Tout comme les tableaux de Bierstadt, qui faisait partie de la Hudson River School, l’environnement alterne entre des teintes riches devant et des tons plus doux et brumeux en arrière plan, ce qui renforce l’impression d’échelle gigantesque. [Heart of the Andes church]

    Si on regarde les vastes plaines de New Hanover, la manière dont le soleil de l’aube éclaire les collines ondulantes rappelle une peinture de Bierstadt [Among the Sierra Nevada] où les montagnes s’élèvent majestueusement sous une lumière dorée, tandis que les teintes s’adoucissent à mesure que l’œil se perd dans l’horizon.

    Un autre procédé consiste à jouer avec la lumière pour créer une impression de gigantisme. Grâce à ce jeu de lumière, on ressent tout de suite l’immensité de ce qu’on voit. Un premier plan sombre, et l’horizon éclairé [Kotaku vidéo]. C’est un excellent outil pour totalement s’immerger dans les décors, qu’ils soient faits de peinture ou de pixels.

    Mais au-delà de la technique, la manière dont ces peintres dépeignent l’Ouest américain n’est pas anodine. En jouant sur ces couleurs saturées et ces perspectives grandioses, ils véhiculent une idéologie : celle de la Destinée Manifeste.

    Parce que oui, les États-Unis ne sont pas seulement ceux qui amènent la démocratie, ce sont aussi des envoyés divins. Et il ne faut absolument pas sous-estimer l’importance de la Hudson River School quand on parle de la Destinée Manifeste : en dépeignant les paysages de l’Ouest américain comme quelque chose de presque divin, posé là pour les colons au détriment des natifs déjà présents sur place, ils n’ont pas simplement attrapé au vol un sentiment : ils ont aidé à le développer, ils l’ont nourri, et ils ne l’ont certainement pas fait de manière subtile.

    Les artistes chez Rockstar en ont bien conscience, alors Red Dead Redemption 2 montre les coûts cachés de cette quête de grandeur. Les colons avancent, et derrière eux, il ne reste que désolation pour les populations indigènes. Et pourtant, les Wapiti ne sont qu’un arc parmi d’autres dans la rédemption d’Arthur. C’est très ironique, mais malgré la volonté des développeurs, Red Dead Redemption 2 dépeint l’Ouest américain de la même manière que la Hudson River School, celle qui reste pregnante dans l’imaginaire collectif.

    Au-delà de l’inspiration artistique, c’est aussi grâce à des prouesses technologiques que Rockstar a pu donner vie à ces paysages avec un tel réalisme. Parce que représenter la grandeur de la nature, ça demande aussi une maîtrise technique hors du commun… Mais attendez, ne mettons pas la charrue avant les bœufs. Les gros chiffres qui donnent le tournis vont arriver bientôt, mais d’abord, on va vite fait parler du moteur utilisé par Rockstar depuis plus de 15 ans.

    En 2006, Rockstar fait étalage de ses compétences techniques avec… un jeu de tennis de table. Alors clairement, c’est pas là où les attendait vu qu’on les connait pour leurs mondes ouverts, mais c’est un choix assez logique. Jusque là, Rockstar utilisait le moteur RenderWare de Critérion Games, sauf qu’ils se font racheter en 2004 par Electronics Arts, obligeant Rockstar a développer son propre moteur. Pour y parvenir et poser les bases d’un outil qu’ils utilisent encore aujourd’hui, ils ont préféré miser sur un petit jeu sans ambition narrative ni game design complexe. Grâce à ça, ils ont pu se concentrer sur l’important quand on parle de moteur graphique : le rendu visuel, la fluidité des animations, la gestion de la physique et l’optimisation.

    Mais on va très vite le voir à l’oeuvre puisque GTA IV sort deux ans plus tard, en 2008. Et à partir de là, le moteur va continuer à gagner en ampleur : avec Red Dead Redemption en 2010, il est capable de gérer des paysages naturels vastes, une faune diversifiée et des transitions météo réalistes. En 2013, GTA V pousse de nouveau le moteur dans ses retranchements avec une immense carte urbaine et la gestion de trois personnages principaux interchangeables. Et clairement, ça a été une grosse claque : à l’époque, on n’avait jamais vu un tel niveau de densité et de détails dans un monde urbain aussi grand.

    L’étape d’après, c’est donc Red Dead Redemption 2. Parce que GTA V a bien reçu une mise à jour avec son portage sur la huitième génération de consoles, mais il reste basé sur les fondations techniques de la génération précédente. Les devs pouvaient certes arrondir les angles et l’ont d’ailleurs très bien fait, mais le cœur du jeu et les logiques qui en découlent restent limitées. C’est pour ça que Red Dead 2 est le vrai renouveau du moteur RAGE. En étant directement pensé pour la PS4 et la Xbox One, les devs peuvent aller beaucoup plus loin dans le réalisme et la gestion de l’environnement.

    Par exemple, la lumière est totalement repensée en intégrant des variations atmosphériques qui dépendent de l’heure et des conditions météos. Et petit détail qui tue, mais le moteur RAGE n’intégrait pas encore le ray tracing lors du développement de Red Dead 2. Aucun doute quant au fait que ce sera le cas pour GTA VI, mais c’est en l’occurence pas le cas ici. Et pourtant, on est tous d’accord pour dire que le jeu a des effets de lumière magnifiques. Alors, comment c’est possible ?

    On va un peu rentrer dans le détail de comment tout ça fonctionne sous le capot. Par contre, gardez bien en tête que je suis pas moi-même développeur de jeux, et que ce que je vais raconter est vulgarisé. On va prendre certains raccourcis pour rester digeste, à moins que vous ne vouliez qu’on parle de ça. Si jamais c’est votre cas, je vous laisse aller voir les sources, vous trouverez votre bonheur.

    On va déjà commencer avec le ciel, parce qu’il est vraiment important dans l’ambiance du jeu, et il est en plus assez innovant. Dans le jeu vidéo, le ciel ne représente finalement qu’un décor en plus : grosso modo, c’est celui qu’on a tout autour de nous au-dessus de nos têtes. C’est d’ailleurs pour ça qu’il est très souvent stylisé à outrance : parce qu’il fait partie intégrante de la direction artistique, il influe sur les émotions véhiculées par les visuels. Mais au départ, dans les premiers gros jeux 3D, le ciel ne reste qu’un arrière plan fixe sans aucune variation de lumière. Avec le temps et l’évolution technologique, les cieux ont gagné en profondeur grâce à l’utilisation de ce qu’on appelle des Skyboxes : en gros, on pose une boite texturée avec des images du ciel sur chaque face, et on obtient une illusion de profondeur. C’est d’ailleurs toujours aujourd’hui la base de la plupart des jeux, même s’ils se sont bien sûr complexifiés avec l’ajouts de nombreux paramètres qui ajoutent du réalisme. Et parmi les plus importants, on retrouve bien sûr les nuages.

    Red Dead Redemption 2 n’est pas le premier à les utiliser, mais c’est le premier à pousser aussi loin le concept de nuages volumétriques. Le « volumétrique » qui peut faire peur est en fait assez simple, en tout cas dans la théorie : ça veut juste dire que le moteur du jeu utilise des voxels, des pixels transparents qui stockent une information physique, et s’en sert comme des particules qui viennent créer la composition d’un nuage. Grâce à ça, la lumière peut le traverser et intéragir avec. Contrairement aux nuages habituels qui sont des images en 2D et donc sans aucune interactions avec les rayons lumineux, ils donnent ici l’impression d’avoir une véritable densité et projettent en plus des ombres, à la fois sur eux-mêmes et sur le sol. En gros, dans Red Dead 2, les nuages ne sont pas simplement des images, mais des volumes dynamiques qui interagissent avec la lumière tout en prenant en compte divers facteurs météorologiques pour donner une impression de profondeur. D’ailleurs, les effets volumétriques ne sont pas utilisés que pour les nuages, mais aussi pour la brume, la fumée et la poussière.

    En fait, ça peut sembler être un détail, mais ça change tout. Ces effets volumétriques permettent d’utiliser une technique qu’on appelle le ray marching. Sans trop rentrer dans le détail, le moteur va tracer les rayons lumineux en vérifiant en temps réel s’ils traversent un élément volumétrique, comme par exemple de la brume, ou un nuage. Si c’est le cas, la lumière est éparpillée dans toutes les directions, ce qui donne cette lumière diffuse. Alors c’est sûr, la charge de calcul est énorme mais ça aboutit à une diffusion de lumière vraiment spécifique, qui donne cette atmosphère si particulière. Surtout qu’en plus, comme la météo est un facteur important dans la composition des nuages et de la lumière, l’ambiance peut changer du tout au tout : les tempêtes sont juste magnifiques, au moins autant que les couchers de soleil.

    Mais c’est pas tout, parce que jeu foisonne de textures en tout genre : de la boue, des vitres, la végétation, la neige, les vêtements, etc. Pour gérer ça, les devs utilisent deux techniques couramment utilisées. La première, le SSR, analyse une trajectoire à partir de l’angle de la surface et de la caméra, et s’en sert pour simuler une réflexion. Par exemple, si on prend un lac, il va créer une la ligne qui va suivre un trajet correspondant théoriquement au rebond de la lumière sur le lac. Le moteur analyse alors ce trajet dans l’image et crée l’illusion de la réflexion, en se basant uniquement sur ce qui est visible à l’image. C’est très différent du ray tracing, qui lui projette des rayons et calcule leur rebond, que l’élément soit visible ou non. En se limitant au champ de vision, ça veut dire que les objets qui ne sont pas directement visibles depuis la caméra ne sont pas réfléchis, donc toutes les réflexions près des bords de l’écran peuvent avoir une sale tronche.

    C’est là qu’intervient la deuxième technique, les cubemaps. Comme son nom l’indique, c’est un… cube, ou sont projetées six images prises à partir d’un point central, comme une pièce pour un intérieur ou une rue si on est dans une ville. Ces six images qui forment un cube sont ensuite projetées sur les objets pour créer les réflexions. Par exemple, le reflet qu’on voit dans une fenêtre, ce n’est pas ce qui est rendu en temps réel, mais l’image projetée par un cubemap, qui est elle précalculée. En gros, ça vient completer les objets qui ne sont pas réfléchis par le SSR. En plus de ça, comme le jeu est vraiment bourré de détails de partout, ça permet un énorme gain de performances : si on devait utiliser le ray tracing, afficher un lac sans faire tousser la carte graphique serait un enfer car ça voudrait dire que chaque pixel renvoie la lumière en temps réel. Grâce à ces réflexions précalculées, l’illusion marche très bien parce que la différence entre la réflexion et la réalité est trop subtile pour être perceptible, d’autant plus que les cubemaps dans Red Dead 2 s’ajustent en fonction de différents facteurs comme l’heure de la journée ou la météo. Et puis au pire, on peut même utiliser un léger effet de flou pour gommer les imperfections.

    Et tout ça, ce n’est que pour la lumière. À côté de ça, d’autres techniques sont utilisées pour aboutir au résultat bluffant qu’on connaît. Entre autres, on peut citer la tessellation, une technique graphique qui divise chaque polygone en triangle pour créer des détails plus fins. C’est notamment grâce à ça que la neige ou la boue se déforment de manière réaliste lorsqu’on marche dedans, mais c’est pas tout parce que c’est aussi appliqué aux surfaces comme les rochers par exemple. Et puis il y a aussi les textures dynamiques qui ajoutent toujours plus de réalisme : on pense tout de suite aux armes qui se salissent et qui impactent d’ailleurs directement le gameplay, ou aux vêtements des personnages qui changent de couleur lorsqu’il pleut ou qui peuvent être tachés, mais ça va beaucoup plus loin que ça. Un sol terreux deviendra boueux sous la pluie avec des flaques d’eaux, et il reprendra sa forme initiale une fois qu’il aura passé assez de temps au soleil. En fait le moindre élément du monde utilise ces textures dynamiques : ça va de la fourrure d’un écureuil à une planche de bois posée dans un coin.

    Autant dire qu’avec tout ça, il a bien fallu compenser pour réduire la charge de calcul et tourner correctement. Parce que tout ça, c’est appliqué à un monde gigantesque : 54km², avec un niveau de détail hallucinant. La question qui suit est évidente : Mais alors, comment les devs de Rockstar arrivent à faire tourner tout ça sur des consoles qui datent de 2013, ou sur un PC de l’époque ? Parce que pour rappel, le jeu est sorti en 2018, ça remonte déjà à 6 ans.

    Bon déjà, y a des astuces logiques, à commencer par le level of details, qui est d’ailleurs utilisé aussi dans Elden Ring. C’est simple : plus un élément est loin, moins il est détaillé. Si on prend bâtiment par exemple, en étant à 2 mètres de lui, il est tout à fait normal. Mais si on déplace Arthur à 10km, qu’on prend la caméra et qu’on retourne le voir… Il a plus du tout la même apparence. Sauf que, comme la caméra est liée au personnage et qu’il est loin, on ne le remarque pas. Si on voit des montagnes au loin, on a pas besoin de voir chaque cm² de neige avec précision.

    Et on peut appliquer la même astuce à tout ce qui est en dehors du champ de vision. Grâce à l’occlusion des objets hors-champ, c’est un gain significatif de performance car tout ce qu’on ne voit pas est simplement pas affiché. À quoi bon consommer des ressources à afficher un bâtiment caché derrière un rocher ? Voire afficher un élément qui est dans notre dos ? Cette technique, qu’on appelle le frustum culling, peut poser problème dans des FPS où on peut bouger rapidement comme Rage parce que si on fait un demi-tour trop rapide, on voit la supercherie. Mais dans Red Dead où de toute façon Arthur bouge aussi vite qu’un 33 tonnes, ça reste facilement gérable.

    En fait, presque toute l’optimisation se fait sur ce qu’on ne voit pas, ou du moins sur la perspective qu’on a. Si on voit une tempête au loin, en réalité les textures de ce qui se trouve en dessous ne changent pas car il y a aucune raison de le faire. Elles changeront uniquement quand on arrivera à leur niveau. C’est pareil pour tout : les ombres, les animations, la lumière, etc. Et c’est rendu possible grâce à l’utilisation du préchargement et du streaming de textures, qui anticipe notre trajectoire et charge les éléments avant qu’on les voit réellement. Ça permet de limiter l’effet de pop-in ou d’avoir des gros lags qu’on aurait forcément si tout devait charger d’un coup.

    Et sur console, pour avoir de la 4K, les devs utilisent une technique appelée checkboard rendering. En gros, plutôt que de rendre chaque pixel, la carte graphique va en fait afficher seulement une partie et va utiliser des informations des images précédentes pour remplir les pixels manquant. Et donc, tadaaa ! Avec tout ça, on a un jeu qui tourne superbement bien, avec une qualité visuelle qui était ahurissante pour l’époque, et d’aucun ne dirait que c’est pas le cas encore aujourd’hui.

    Reste alors un dernier point à aborder : les animations. Bien animer un jeu, c’est bien sûr indispensable pour apporter du réalisme, mais ça va plus loin que ça. C’est en soi un vecteur important de la narration : ce que les personnages peuvent transmettre via leur postures ou leurs expressions faciales, c’est tout ce qui est sous entendu sans être formellement dit. Le fameux “Show, don’t tell”. Ça peut être quelque chose d’évident, comme le mépris d’un PNJ envers nous, ou quelque chose de plus subtil : si c’est bien fait, on peut presque deviner les pensées du personnage. Dans un jeu photoréaliste, les animations appuient la narration pour transmettre des idées et des émotions, et dans Red Dead 2, évidemment, c’est encore à un autre niveau.

    On va commencer par les animations faciales. Comme on l’a vu quand on parlait du tournage, Rockstar a utilisé la performance capture plutôt que la motion capture. Donc, contrairement au premier The Last of Us où les animateurs devaient ensuite faire à la main toute les animations faciales, les acteurs ont ici une caméra au niveau de leur tête qui enregistre leur visage en permanence.

    À partir de ces enregistrements, un profil est créé pour chaque acteur. Ce profil sert ensuite de base pour générer des animations réalistes sur d’autres PNJ. Elles sont par ailleurs utilisées dans deux cadres différents : dans les cinématiques, et in game. Durant les cinématiques, il faut que les visages soient coordonnés avec le reste du corps et les dialogues, en fait pour faire un raccourci on pourrait dire qu’il faut que ça ressemble à un acteur en train de jouer dans un film. Le travail est beaucoup plus minutieux dans ce cas et sert de référence pour les autres animations.

    Pour le gameplay, quand on a pas de gros plans sur les visages donc, le résultat est un peu plus générique. Il se base sur deux critères : l’humeur du personnage, qui consiste en une boucle qui dure plusieurs centaines de millisecondes et varie en fonction des émotions du personnage. Par exemple si un PNJ se fait mordre par un serpent, il va prendre peur et l’expression faciale “peur” va se lancer, et se relancer en boucle tant que le personnage ne sort pas de cet état émotionnel. Si on décide de le sauver et qu’il est content, son humeur change, et ses expressions faciales aussi. Le deuxième critère, c’est tout bêtement le son : en fait les animations faciales sont reliées aux phrases. Par exemple quand on parle aux gens dans une ville, leur expression faciale va changer en fonction du ton qu’on va employer. Et ça a l’air simple dit comme ça, mais ça demande énormément de travail : au total, c’est pas moins de 20 000 animations faciales qui ont été créé par une équipe de 70 personnes uniquement dédiée à ce travail là.

    Et tout ça, c’est qu’une goutte d’eau dans l’océan. Parce que évidemment, il y a pleins d’action possible en jeu, et il faut bien créer les animations qui vont avec. J’vous laisse deux secondes pour penser à un nombre. Vous pensez qu’y en a combien des animations dans Red Dead ?

    Trois cents. Mille. Animations.

    Je sais pas si on peut se rendre compte. C’est un chiffre si ridiculement grand qu’on peut à peine le concevoir. Imaginez s’ils faisaient une animation par jour. 300 000 animations, ça aurait pris 821 ans, 4 mois et 14 jours. C’est tout simplement démentiel. Y a 821 ans on savait même pas que l’Amérique existait ! Ok c’est pas le sujet, mais c’est complètement dingue !

    Et en plus, c’est même pas entièrement vrai. Ces 300 000 animations, ce sont celles créées par les animateurs. Mais ce ne sont pas les seules qui existent dans le jeu. Parce que à côté, on a aussi des animations procédurales.

    Les devs de chez Rockstar utilisent l’outil Euphoria depuis GTA IV. C’est un système d’animation procédurale qui utilise des simulations physiques en temps réel pour générer des mouvements réalistes. En gros, selon différents facteurs contextuels, Euphoria va générer des animations plus précises ce qui va ajouter du réalisme au comportement des PNJ et des animaux.

    Si un cavalier voit son cheval se faire tirer dessus, il y a une palette de réactions réalistes. Les ennemis disposent désormais d’un éventail plus large de réactions s’ils sont blessés, et si vous essayez de les attraper au lasso, ils tenteront parfois de saisir la corde ou même de tirer quelques coups en essayant de se libérer. Tout ça s’ajoute aux chutes classiques du Far West qui étaient présentes dans le jeu original. Certaines des meilleures implémentations concernent les collisions entre humains et animaux, on s’est assuré que cogner votre cheval contre des véhicules, des arbres ou des bâtiments soit plus intense. Ça fait partie de notre objectif plus large de toujours vous donner l’impression que vous êtes physiquement dans le monde et qu’il y a des conséquences à négliger votre animal. Phil Hooker, directeur technologique Rockstar North

    Alors, comment ça marche exactement ? Sans trop rentrer dans les détails technique, Euphoria utilise une simulation qui prend en compte des muscles et des nerfs virtuels. Quand un personnage est touché par une balle ou même bousculé, Euphoria génère une réaction physique en tenant compte de la position du corps, de la force de l’impact, et de la gravité. Et ça va plus loin que ça, car Euphoria intègre aussi des éléments du système nerveux : chaque personnage tente toujours de maintenir son équilibre. Ça, on le voit très bien lorsqu’on Arthur force sur la bouteille.

    Et voilà, je crois qu’on a fait le tour de tout l’aspect visuel du jeu. Honnêtement, c’est à l’image de tout le reste : c’est bigrement impressionnant, tout ce travail pour rendre le jeu crédible. On a un monde gigantesque et magnifique, composé d’êtres vivants qui possèdent des centaines de milliers d’animation, et tout ça tourne sur des consoles sorties en 2013.

    Mais vous savez quoi ? C’est toujours pas ça le pire. Parce que ce monde, faut bien qu’on fasse des choses dedans. Qu’on discute, qu’on tue, qu’on frappe, qu’on court, et ainsi de suite. Et tout ça, ça serait pas possible sans une IA à la hauteur.

    Chapitre 5 : Nous ne sommes pas des robots, mais des êtres vivants.

    On l’a déjà vu avec les membres du gang lorsqu’ils sont au campement, l’IA est poussée dans ses derniers retranchements pour ne pas briser l’immersion. Qu’on croise une panthère ou qu’on salue un piéton en se promenant en ville, l’immersion est au centre de chaque interaction. C’est un travail colossal, étant donné qu’il existe des milliers de PNJ. Mais avant de parler d’eux, on va déjà s’attarder sur un compagnon qu’on a tendance à oublier, et pourtant si important.

    Les chevaux dans le jeu vidéo, c’est un peu « je t’aime, moi non plus ». Y a des fois où ça marche extrêmement bien et on devient très attaché à notre monture, des fois où ça fait le job tout en étant très approximatif, et des fois où c’est carrément catastrophique. Et faut bien l’admettre, dans la grande majorité des cas, le cheval en tant qu’animal est assez anecdotique, il sert surtout de moyen de locomotion plus rapide que nos jambes. Et y a une raison évidente à ça : le cheval, c’est génial, mais c’est aussi compliqué.

    Déjà, les quadrupèdes sont largement plus difficiles à animer que les bipèdes. Qu’il s’agisse d’un chien, d’une gazelle, ou d’un ours, ils ont tous une coordination différente et totalement inhabituelle pour nous. Dans le cas des chevaux, c’est encore pire, car leur façon de poser leur pattes au sol dépend de leur rythme. Et encore, en général on s’arrête aux postures naturelles pour un cheval, mais y en a d’autres encore qu’ils peuvent apprendre lorsqu’on les entraine.

    Et faut dire que de manière générale dans le jeu vidéo, c’est quelque chose de très mal fait. Dans Assassin’s Creed Valhalla, le cheval semble se déplacer en accéléré, parce que l’animation de transition entre le pas et le trot est pas du tout naturelle. Le but ici n’est pas de représenter fidèlement la façon qu’à un cheval de se déplacer, mais juste d’être rapide. Dans Elden Ring, on peut certes le justifier par le fait que Torrent n’est pas à proprement parler un cheval, mais son anatomie est bizarrement foutue. Quand on grimpe une colline, Torrent le fait avec les genoux pliés, ce qui est physiquement impossible pour un cheval. Bref, les exemples de “mauvais” chevaux, ou du moins de chevaux absolument pas crédibles, ne manquent pas dans le jeu vidéo.

    Bon, je pense qu’au point où on en est, ça ne surprendra personne, mais le travail effectué sur les chevaux dans Red Dead 2 est surréaliste. Pour poser les bases, les devs ont voulu reprendre le boulot déjà fait sur Red Dead premier du nom, sauf que ça collait pas avec leur ambition : les mouvements du cheval étaient trop limités et pas assez réalistes. Donc ils repartent de zéro avec trois piliers en tête : la façon dont le cheval se déplace, sa compréhension du terrain et l’impact que ça a sur ses animations, et enfin l’ajout d’une personnalité, qui va apporter de la nuance et rendre chaque cheval unique. Pour y parvenir, les développeurs vont tout simplement s’inspirer de la réalité en enregistrant les mouvements d’un cheval, et ça va permettre l’ajout d’une des fonctionnalités les plus importantes : le mouvement latéral.

    Dans le premier Red Dead, tout comme dans la plupart des jeux finalement, quand on fait tourner un cheval, son corps prend la forme d’un C. Sauf qu’en fait, dans la vraie vie, les mouvements du cheval sont bien plus complexe : son corps reste orienté vers l’avant, et il va faire un pas de côté avant de se lancer dans le virage. Et ça, rien que ce petit détail, ça a été un enfer ensuite à incorporer dans le jeu. Je vais pas rentrer dans le détail car c’est encore une fois assez complexe, mais s’il y a une chose à retenir c’est bien celle-ci : les devs ont étudié en profondeur le moindre détail pour créer les mouvements les plus réalistes possibles. Y a donc les virages, mais aussi sa façon de pivoter sur ses pattes avant, la transition entre les différentes allures du cheval

    Cette tonne de détail, elle se ressent manette en main : on a l’impression que le cheval n’est pas entièrement sous notre contrôle. On voit qu’il fait de son mieux pour executer les mouvements qu’on lui dit de faire, mais ce n’est pas immédiat, et surtout, y a parfois une sorte de résistance, comme si on contrôlait vraiment un animal avec une volonté propre. En plus, il s’adapte aussi en fonction du terrain : que ce soit une pente ou de la neige, le cheval va réagir différemment en fonction de l’endroit où on se trouve. Et si on ajoute à ça son instinct de survie qui le pousse à éviter les arbres ou lui interdit de se jeter dans un ravin, on obtient un cheval plus vrai que nature.

    Mais c’est pas tout. Parce que les chevaux peuvent aussi avoir une fonction narrative importante, et tout ceux qui ont fait Shadow of the Colossus savent de quoi je parle. Mais dans la plupart des jeux, il est relayé à un simple moyen de déplacement, qu’on choisit comme on choisirait un menu au MacDo, sans influence directe sur le gameplay. Et puis sinon, il est immortel, donc on a jamais à s’inquiéter pour lui, ce qui en fait finalement un outil comme un autre. Dans Red Dead 2, on découvre 19 races de chevaux, chacune ayant ses propres caractéristiques. Et en plus de ça, ils ont tous une personnalité unique. L’un aura peut-être plus peur des coups de feu, l’autre des prédateurs, qui dans tous les cas se traduit par l’agitation grandissante du cheval. Bref, tout est fait pour que notre cheval ne ressemble à aucun autre et ainsi en faire un vrai acolyte plutôt qu’un simple moyen de locomotion.

    De fait, on est loin loin, très loin d’Epona ou Ablette. Parce qu’il y a en plus quelque chose de primordial à cette relation qui vient ajouter une couche de réalisme : notre cheval peut être sérieusement blessée, et soignée si on a ce qu’il faut, mais il peut aussi mourir dans d’atroces souffrances. D’ailleurs, pour l’anecdote, durant le développement, il y avait un bug qui faisait revenir le cheval à la vie quand on sifflait. Quand Rob Nelson l’a découvert, ça lui a confirmé que la possibilité de perdre notre fidèle monture était importante dans le jeu, car elle renforçait d’autant plus la relation qu’on a avec elle.

    Mais ça, c’est qu’une seule espèce, voire qu’un seul animal si on garde notre monture tout le jeu. Et des animaux, y en a au total plus d’une centaine, chacun avec son comportement spécifique. Les écosystèmes varient en fonction du lieu, chaque animal possède des réactions spécifiques face aux humains ou d’autres animaux, et tous se nourrissent, jouent, dorment, bref font leur petite vie tout en respectant le plus possible la réalité. Et, aussi étonnant que cela puisse paraître, c’est aussi le cas des êtres humains.

    Dans un jeu vidéo, l’interaction avec des PNJ est généralement centrale pour l’expérience. Que ce soit des marchands, des donneurs de quête, ou même des ennemis, leur comportement va grandement façonner notre façon d’agir. Sauf que, dans la plupart des jeux, on ne peut interagir qu’avec une infime minorité d’entre eux. La plupart sont là pour décorer, donner une impression de vie à un lieu. Et c’est là où Red Dead 2 se différencie de tous les autres jeux : on a beau croiser des milliers de PNJ, on peut interagir avec chacun d’entre eux. Et pas de la manière classique où on va juste tapoter le bouton d’intéraction pour le faire répéter la même phrase en boucle, non cette fois les interactions sont vraiment interactives.

    On peut donc, grosso modo, être gentil ou méchant, et aussi alterner entre les deux. Chaque choix entraine une réponse différente, qui est en plus contextualisée. Les PNJ vont prendre en compte notre propreté, notre honneur, notre taux d’alcoolémie, mais ça dépend aussi du lieu, de l’heure, de ce que le PNJ est en train de faire, et ainsi de suite. Tout se passe sans que le jeu s’arrête, on peut très bien mettre fin à la discussion en s’éloignant. Mais en plus de ça, ils se souviennent de nous : si on cogne un PNJ et qu’on revient le voir plusieurs jours plus tard, il risque de nous ignorer royalement ou a minima de pas être content. Et ça va même encore plus loin que ça : admettons qu’on tue un PNJ, il est possible qu’un autre PNJ nous attaque plus tard pour le venger parce qu’il s’agit de quelqu’un de sa famille.

    Mais c’est toujours pas ça le plus impressionnant. Parce que ces PNJ ne sont pas là que pour nous divertir. En fait, si le monde de Red Dead 2 semble aussi vivant, c’est parce qu’il l’est en quelques sortes. Voilà l’information la plus importante à retenir sur l’IA : chaque PNJ qui compose le monde a sa propre routine. Ce n’est pas juste un simuli pour créer l’illusion qu’ils font quelque chose. Ils ont tous réellement une façon de vivre qui leur est propre.

    Et dites vous bien qu’absolument tous les PNJ du jeu suivent la même règle. On peut prendre n’importe qui et le suivre, et ses actions auront une logique. Et ça, on le remarque pas, parce qu’après tout, qui s’amuserait à suivre un personnage lambda pendant autant de temps ? Et pourtant, c’est ce genre de petit détail qu’on ne remarque pas qui confère tant de crédibilité à ce monde si vivant. Si vivant que Westworld ne ressemble plus tant que ça à de la science-fiction.

    Ceci dit, il faut bien prendre en compte que cette quête du réalisme a malgré tout une limite. Forcément, pour que le jeu soit viable et intéressant à jouer, ben faut outrepasser certaines évidences. Par exemple, c’est le cas avec les armes : on doit régulièrement les nettoyer, on doit les choyer un minimum pour pas qu’elle nous lâche dans les moments importants. Mais dans le même temps, la façon dont on s’en sert n’est pas non plus fidèle à la réalité.

    On joue constamment avec ça. On essaye de ne pas rendre le jeu réaliste au point de devenir laborieux. On essaye de donner l’impression que les choses sont réalistes, mais elle ne le sont pas nécessairement si elles deviennent agaçantes dans la pratique. Rob Nelson

    Et c’est pareil pour la chasse d’ailleurs. Les animaux chassés pourrissent au bout d’un certain temps, mais ceux qu’on a dans notre sacoche restent intact, parce que ça deviendrait totalement ingérable. On passerait plus de temps à jongler dans les menus qu’à jouer le rôle d’Arthur. Dans la même idée, la liberté de choix est parfois limitée pour ne pas obstruer la progression du scénario. On ne peut pas empêcher Arthur de frapper Thomas Vane, tout comme on ne peut pas choisir nos acolytes lors du braquage de la banque. Et en dehors de l’histoire, c’est la même chose : si on pouvait dynamiter la banque avant la mission, ça empêcherait l’événement de se produire au moment prévu par le scénario. C’est pareil pour l’environnement : si beaucoup d’interactions sont possibles, on ne peut pas foutre le feu à une forêt, même avec 1000 litres d’essences.

    Ça serait sympa, mais non. Parce que ce n’est pas pratique. Vous pourriez bruler des trucs, mais un feu de forêt entrainerait des changements si importants qu’il faudrait changer le monde entier et ce qui le compose. Rob Nelson

    Le monde pourrait être un immense bac à sable, mais ça s’oppose à la philosophie de Rockstar, qui consiste à proposer un monde finement travaillé à la main dans le moindre détail. D’ailleurs, c’est pareil dans GTA : certes on peut foutre le bordel, mais on ne peut pas impacter la structure de la ville, en détruisant des bâtiments par exemple. Ca pourrait marcher si le monde était généré procéduralement, mais comme ce n’est pas le cas, ça impacterait trop la consistence du monde, ça le rendrait totalement chaotique. Quel impact ça aurait sur la faune et la flore locale ? Et sur les habitants aux alentours ? On est libre d’explorer le monde et d’intéragir avec comme bon nous semble, mais selon les règles imposées par les développeurs pour ne pas amoindrir l’immersion. L’immersion, c’est la seule limite au réalisme.

    D’ailleurs, il nous reste un dernier sujet à aborder, qui justement appuie cette immersion avec brio. Cette fois, il n’est pas question de réalisme mais d’atmosphère. Parce que Red Dead 2, c’est aussi beaucoup d’émotions, et ces émotions auraient sans doute été beaucoup moins fortes sans un élément central.

    Chapitre 6 : Quand la musique est bonne

    Quand on pense au Western, on a des sonorités, des musiques bien précises qui nous viennent en tête. La musique du premier Red Dead ne fait pas exception à la règle et baignait à fond dans le western spaghetti. Pour sa suite, Rockstar voulait proposer quelque chose d’unique en son genre. Mais alors, comment on fait pour parvenir à créer quelque chose d’unique dans un genre très codifié ? Ben déjà, on fait appel à un compositeur talentueux.

    Woody Jackson est né en Pennsylvanie en 1970. Bon, je vous passe sa biographie, parce qu’il y a finalement qu’une chose importante à retenir : c’est un passionné. Il compose des musiques de films, il collectionne les vinyles, il créé ses propres instruments, cherche à créer des sons jamais entendus auparavant , et achète en 2009 le plus vieux studio d’enregistrement des Etats-Unis. Et ça tombe bien parce qu’un an plus tôt, Rockstar est venu le voir pour lui demander de composer la musique du premier Red Dead. Depuis ce jour, c’est lui qui compose les musiques des jeux Rockstar, même s’il n’est jamais tout seul aux commandes. Du moins, jusqu’à Red Dead Redemption 2. Là, il a carte blanche et va gérer plus de 100 musiciens et intégrer plus de 30 instruments dans la bande-son.

    Pour parvenir à créer une bande-son aussi vaste, parce qu’on parle quand même d’un scénario s’étalant sur des dizaines d’heures, il va s’inspirer de ce qui se fait de mieux. Et pas forcément ce qui est plus répandu : on pourrait croire qu’Ennio Moricone a servi d’inspiration, ce qui est partiellement le cas d’ailleurs, notamment dans le choix des instruments et cette façon disruptive de composer la musique de Western en utilisant des sonorités modernes. Mais finalement, comme c’est souvent le cas avec le western j’ai l’impression, la plus grande inspiration vient du Japon, notamment du cinéma de Kurosawa.

    Pour réussir à s’imprégner du jeu, Jackson reçoit le script du jeu au fur et à mesure de son avancement. Enfin, je dis qu’il reçoit, mais c’est pas tout à fait ça. Une fois de plus, la confidentialité est le maître mot chez Rockstar, alors Jackson doit se rendre dans les locaux durant le développement pour voir des prototypes. Qu’à cela ne tienne, il va lui-même s’immerger dans le Far West. J’crois que tous les gens qui bossent sur Red Dead 2 sont un peu zinzin tant ils sont uniques dans leur façon de faire, mais je vous laisse juger par vous-même : Jackson contacte une boite italienne qui produit des reproductions des pistolets de l’époque. Il obtient un port d’arme, achète ces reproductions et va tirer au stand de tir tout en écoutant sa musique pour voir si ça colle. Ouais, on en est à ce niveau de dévotion. Et pour avoir une sonorité authentique, il va même jusqu’à acheter des instruments directement au Wrecking Crew, un groupe de musicien de studio qui a collaboré avec des artistes renommés comme Frank Sinatra, les, Beach Boys ou encore Johnny Rivers.

    Et donc, ça donne quoi : en fait, dans Red Dead 2, il y a trois types de musique. Les musiques narratives, celles qui accompagnent les moments narratifs du jeu, ce qu’on entend lors d’une mission ; les musiques environnementales, celles qui sont intradiégétiques, en gros lorsqu’un PNJ joue d’un instrument ; et enfin les musiques interactives, celles qui se jouent lorsqu’on se promène dans le monde.

    C’est d’ailleurs cette dernière catégorie qui est la plus difficile à mettre en place, parce qu’elle s’adapte à nos actions. Si on gambade tranquillement ou si on décide de jouer un pistolero endiablé, la musique doit s’accorder avec ce qui se passe à l’écran. Dans ces moments-là, sans qu’on s’en rende compte, on controle la musique. Et selon Jackson, ça n’aurait pas été possible sans les avancées technologiques. Parce que cette technique était déjà utilisée dans GTA 5, mais les curseurs sont ici poussés beaucoup plus loin et permettent d’affiner encore plus l’utilisation des STEM. Une STEM, c’est une piste audio séparée avec un ou plusieurs instruments dedans. Faut vraiment voir ça comme des couches qu’on superpose les unes sur les autres. Grâce aux avancées technologiques, le nombre de stem qu’on peut cumuler a été augmenté de 50%. Et c’est pas tout, parce qu’en plus, on peut désormais faire varier leur tempo et leur tonalité à la volée ! Et ça a énormément d’avantages, car ça permet d’une de toujours s’adapter aux actions du joueur, et de deux de faire transitions douces qui ne se remarquent pas.

    C’est habituellement basé sur 11 Stem, avec des boucles de 4 à 5 minutes. Ce n’est pas une session usuelle de musique pour des stem où on divise juste les pistes entre batterie/basse/guitare/mélodie et tout ce qui peut s’ajouter dessus, mais ça répond à tout ce qui va ou pourrait se passer durant le gameplay. On a regardé où une émotion pourrait changer, par exemple en arrivant à un certain lieu durant la mission qui pourrait ou ne pourrait pas avoir de dialogue, et plutôt que de juste rajouter quelque chose, on peut basculer totalement sur une clé et un tempo différents. Woody Jackson

    Tout ça est en plus chapeauté par une IA portant le doux nom de Gunfight Conductor, qui analyse constamment ce qui se passe à l’écran et gère en conséquence l’intensité de la musique et des différents sons. Elle peut même en rajouter ! Elle était déjà présente dans GTA V, mais a été totalement revue pour Red Dead 2.

    Forcément, ce genre de musique atmosphérique se compose totalement différent des musiques narratives, parce qu’elle doit être naturelle, elle doit s’incorcoporer dans l’ambiance du monde et ne surtout pas être distrayante. Pour se faire, la méthode de Jackson est plutôt cool. Il compose un motif de 3 ou 4 notes qu’il fait ensuite tourner en boucle pendant environ 5 minutes. Il les fait écouter aux musiciens qui bossent avec lui, et ils peuvent y répondre comme ils le veulent : soit simplement les reproduire, improviser totalement, etc. Et forcément, ça crée quelque chose de très organique.

    Au total, c’est pas moins de 60 heures de musique créées, avec l’aide de 110 musiciens. Et elles s’adaptent tellement à nos actions que selon Ivan Pavlovich, le directeur de la musique et du sound design sur le jeu, un playthrough normal ne permet d’en entendre qu’un tiers.

    Mais vous savez quoi ? Ça non plus, c’est pas le pire. Et justement, on va y venir. Avant de parler du succès du jeu, de la réussite commerciale et critique incroyable qu’à été Red Dead Redemption 2, il reste un sujet très important à aborder. Ce sujet, sans doute le plus important de cette vidéo, c’est le prix d’une telle ambition. Car chaque chose qui a du sens à un coût, et celui de Red Dead 2 est… démentiel.

    Chapitre 7 : Le travail qui croustille

    On est en janvier 2010. Red Dead va sortir d’ici quelques mois, mais avant la consécration… Rockstar va devoir serrer les dents face à un gros scandale. Une lettre est envoyée au site Gamasutra par un groupe, Les Épouses dévouées et déterminées des employés de Rockstar San Diego. Selon elles, la situation depuis mars 2009 n’a fait que se détériorer et elles voient leur maris s’enfoncer dans un travail sans fin, avec de grave conséquences sur leur santé. Certains employés seraient dépressifs, et au moins l’un d’entre eux aurait développé des tendances suicidaires. Et pour cause, ils doivent bosser 12h par jour, du lundi au samedi, et ce, depuis 2 ans. Et s’ils refusent, ils peuvent être sanctionnés. Les congés payés sont aux abonnés absent, même les jours fériés passent à la trappe. Et la direction enverrait balader tout ceux qui s’en plaignent. Les augmentations de salaire ne couvrent même pas l’inflation, les primes c’est au bonheur la chance, et les heures supplémentaires sont rarement payées. Alors ces épouses dévouées et déterminées menacent Rockstar d’un procès si la situation ne change pas.

    Et pourtant, pour Max Payne 3, même son de cloche : certains témoignages parlent de marche de la mort, avec en plus des primes très faibles à cause du succès en demi-teinte du jeu. Évidemment, même si les primes étaient cette fois plus élevées, c’est pareil pour GTA V : un développement infernal, qui épuise les employés et les forcent à bosser un nombre d’heures largement supérieur à ce que peut encaisser un être humain, d’autant plus sur une période aussi longue.

    Ca fait presque une décennie que j’ai quitté Rockstar, mais je peux vous assurer que pendant l’ère GTA V, on avait l’impression de travailler avec un pistolet sur la tempe 7 jours par semaine. ‘Sois là samedi et dimanche aussi, juste au cas où Sam et Dan [Houser] passent, ils veulent voir que tout le monde travaille aussi dur qu’eux’.

    Le 14 octobre 2018 sort une interview de Dan Houser sur le site du New York Magazine. L’article est balèze, il rentre dans pleins de détails concernant Red Dead Redemption 2, raconte des anecdotes en tout genre, et ainsi de suite. Mais une phrase, un tout petit bout de citation va engendrer des dizaines d’articles.

    Quand Dan parle de semaine à 100h, ça met le feu aux poudres. Ça remet au gout du jour tous les scandales qui ont éclaté jusque là. Comme ça fait jaser, Rockstar cherche à calmer le jeu : Dan explique quelques jours plus tard que ça ne concerne que l’équipe de scénaristes composé de quatre personnes, que ça n’a duré que trois semaines et que bien sûr, personne n’est forcé de cruncher, ceux qui le font sont des passionnés et le font de leur propre chef. Il se doute bien que personne va prendre ses paroles pour acquis, alors Rockstar dévoile publiquement des preuves, notamment le report du nombre d’heures des employés de janvier à septembre, et l’entreprise autorise ses employés à parler publiquement. Selon ces chiffres, les employés auraient bossé en moyenne 45h par semaine. Mais c’est ça aussi la magie des chiffres, on peut leur faire dire ce qu’on veut. Parce que cette moyenne, elle se base sur absolument tous les employés de la boite, quelque soit le corps de métier. Et forcément, c’est pas représentatif de ce que vivent réellement les développeurs.

    Et même en ce penchant sur leur cas spécifiquement, ça reste compliqué à analyser. Déjà parce que bosser sur Red Dead 2 en fin de course est autrement plus ardu que de bosser sur GTA Online, et qu’il faut en plus ne pas oublier qu’il existe de nombreux studios Rockstar, établis dans cinq pays différents. Les conditions de travail doivent sans doute grandement varier d’un lieu à l’autre. Non, le mieux, ça reste encore de se baser sur les témoignages, sur du concret, sur la réalité de ce que vivent les gens, ou en tout cas de ce qu’ils déclarent vivre. Comme la boite leur ont donné l’autorisation, certains vont le faire.

    C’est le cas de Vivianne Langdon, qui déclare dans un thread sur twitter qu’elle n’a jamais été forcée de bosser plus de 50h par semaine, et que la direction lui a demandé une ou deux fois de venir bosser le weekend. C’est le cas aussi de PepsiPunk, qui bosse chez Rockstar depuis 5 ans et n’a jamais fait de semaine de 100 heures. C’est le cas de quelques autres développeurs qui disent eux aussi ne pas avoir des journées de travail trop longues.

    Et pourtant… Les témoignages anonymes recueillis par Kotaku sont bien moins élogieux, en tout cas pour la plupart, et on parle quand même de 34 employés actuellement en poste, et 43 anciens employés, qui sont tous anonymisés parce qu’ils craignent soit des représailles de la part de la direction, soit d’être considéré comme malhonnête en racontant une expérience positive.

    Alors déjà, bonne nouvelle, tous les employés ont confirmé n’avoir jamais fait 100h par semaine, même dans les moments extrêmes. Par contre, certains déclarent avoir été obligé de travailler jusqu’à 80h. Et oui, j’ai bien dit “obligé”. Donc quand Dan Houser parle de volontarisme, c’est quelque chose qui reste en travers de la gorge de pas mal de personnes.

    Moi, je ne me suis pas porté volontaire. Je sais juste que c’est le prix à payer pour travailler ici.

    Même si les témoignages varient en fonction des situations, il en ressort malgré tout une ambiance globale. Rockstar est un lieu de travail difficile, compliqué, qui demande aux gens de travailler “dur”, entendez par là travailler le plus d’heures possible.

    C’était 80 heures obligatoires pour pratiquement tout le studio, dit une personne qui y était. Si t’as rien à faire sur Red Dead 2, continue à faire des tests sur GTA V pendant huit heures.

    Parfois, cette culture du présentéisme n’a carrément aucun sens. Un ancien remployé raconte qu’on lui disait de venir le samedi et dimanche, juste au cas où Sam et Dan Houser passeraient au bureau, parce qu’ils voulaient voir tout le monde travailler aussi dur qu’eux. Témoignage corroboré par un autre, actuellement en poste dans les locaux de New York.

    Il y avait des samedis où j’allais là-bas alors que je n’avais rien à faire Je restais assis au bureau pendant six à huit heures juste au cas où Sam et Dan étaient là, pour qu’ils puissent me voir. On m’avait toujours imposé ça pour mon bonus.

    Et c’est là justement où ça devient totalement pervers. Parce qu’on pourrait se dire que rien ne les force à venir, au final ils peuvent toujours refuser si on leur demande. Sauf qu’en fait non. Beaucoup d’employés parlent de culture de la peur, au point même ou certains ont peur de se prendre un procès pour avoir témoigné. Au quotidien, ça se traduit par la peur de se faire virer, de se faire crier dessus, ou de ne pas atteindre les objectifs. Le crunch, c’est aussi une histoire de pression sociale. C’est difficile à comprendre quand on l’a pas vécu, mais avoir de bons rapports avec ses collègues c’est quelque chose de primordial pour se sentir bien au travail. Et chez Rockstar, pour maintenir une bonne relation avec ses collègues, ça passe par ces heures supplémentaires, comme le raconte un ancien employé de Rockstar San Diego qui faisait des semaines à 70h pendant le développement du premier Red Dead :

    Si on partait tôt un jour de la semaine ou du weekend, on se recevait des regards noirs, On sentait qu’on nous regardait de haut, et parfois on le voyait quand on partait. Il y avait cette culture qui disait : si tu y mets pas les heures, tu mérites pas de travailler ici.

    Le caractère de ces gars, ça a toujours été que ça devrait être un privilège de travailler pour cette organisation. Et si t’es pas d’accord avec ça, y’a une longue queue d’autres gens qui attendent de prendre ta place.”*

    Et c’est aussi un sentiment ambivalent, car ces gens savent bien qu’ils bossent sur quelque chose de grandiose. Au-delà du CV comme je le mentionnais tout à l’heure, il y a quand même la fierté de bosser sur un jeu ambitieux, sur un jeu qui bouscule l’industrie. Que ce soit les GTA ou les Red Dead, ce sont des jeux qui marquent des millions de joueurs, et forcément, bosser sur un projet de cette envergure donne envie de se donner à fond. Beaucoup de témoignages parlent de cette fierté, de cette envie, ce qui rend presque plus dramatique encore le fait que les conditions de travail soit si toxique. Il y a aussi les bonus qui se basent sur le succès du jeu, et qui ont parfois atteint des montants à cinq chiffres pour GTA V.

    Pour autant, certains employés parlent de dépression, de perte de contact avec des amis voire de s’être fait quitter par leurs conjoints. Encore une fois, ça dépend des lieux de travail et aussi du département. Selon les témoignages, ce sont les équipes QA qui ont eu le pire crunch, suivi des équipes design et cinématique, en gros ceux à Lincoln et New York. Eux, ils sont en crunch depuis aout 2017, soit plus d’un an avant la sortie du jeu. C’en est au point où on peut presque plus parler de crunch car la période est bien trop longue pour être considérée comme ponctuelle.

    Je ne suis jamais tombé en dépression avant de rentrer chez Rockstar. Maintenant, même un peu de temps après mon départ, c’est un problème récurrent chez moi… Un testeur que je dirigeais m’a raconté avoir rendu visite à son médecin et demandé de l’aide pour gérer sa dépression. Il lui a demandé où il travaillait, et quand il a répondu Rockstar, le médecin a dit ‘Nom de dieu, encore un’.

    Et pourtant, dans ce torrent d’expériences négatives, quelques uns parlent de meilleur endroit où ils ont travaillé. D’autres disent que Rockstar est un lieu agréable en dehors des périodes de crunch, et certains disent que l’entreprise a changé du tout au tout depuis GTA V.

    J’ai travaillé un seul jour d’un weekend en cinq ans, Certains de mes subordonnés veulent rentrer à la maison à 17 heures, et ce n’est pas un problème… Je peux voir que l’entreprise a changé, et que les gens ont de plus en plus l’impression d’être bien traités, mais il y a encore des vestiges de la culture du passé.

    En tout cas, qu’il soit léger ou excessif, le crunch est bien présent, ça c’est certain. C’est rendu très explicite par un exemple bien précis dans l’article de Kotaku : durant la dernière année du développement, les directeurs décident finalement d’ajouter des bandes noires durant les cinématiques, pour les rendre plus cinématographiques. Une bonne idée, le rendu est vraiment sympa. Sauf que pour les devs… ça représente des semaines de travail supplémentaires, à un moment où tout le monde est déjà surchargé. “On peut pas juste foutre des bandes noires sur les cinématiques qu’on a déjà tournées, dit une personne qui a travaillé sur le jeu. Il faut recadrer la caméra pour que les cinématiques se déroulent d’une façon particulière, et on met l’accent sur des choses qu’on n’accentuait pas avant avec ce plan.”

    Autre exemple, qui peut paraître tout bête et qui pourtant implique une tonne de travail : le changement de nom d’une ville. Au début de la production, la plus grosse ville du jeu devait s’appeler New Bordeaux. Mais quand les frères Houser ont su que c’était le nom choisi pour la ville dans Mafia 3, ils changèrent d’avis et décidèrent de l’appeler Saint-Denis. Un simple détail, mais qui demande aux équipes une tonne de travail : il faut modifier tous les textes du jeu, et surtout, réenregistrer tous les dialogues ou apparaît le nom de la ville. Ça implique des grosses sessions d’enregistrements avec des centaines de personnes pour deux petits mots de changés. Et encore, ce n’est que la surface, parce que les frères Houser sont connus pour jeter tout ce qui ne leur convient pas, et dans le cas de Red Dead, le système de campement et plus globalement le gameplay a énormément changé au cours du développement. C’est quelque chose de normal dans la création, on abandonne souvent pleins d’idées, on les transforme, ça fait partie du processus créatif. Mais ça implique aussi un travail colossal de la part des équipes qui doivent prendre en compte toutes les conséquences de ces changements.

    Et finalement, qu’importe qu’on parle de 50, 60, ou 100h, qu’on parle de “seulement” quelques weekend ou de tous les weekend sur 2 ans. Parce que je crois que c’est ça. C’est ça le pire. Le pire, c’est de voir une industrie où tout le monde s’est mis d’accord pour dire que sortir un jeu ambitieux exigeait obligatoirement de faire charbonner ses employés au-delà de toute considération pour leurs santé. Parce que quand je parle de tout ça, je ne sais pas si on peut vraiment ressentir la souffrance de toutes ces personnes. Je veux pas tomber dans le pathos, mais vraiment, des semaines à 80h pendant autant de temps, ou même des semaines à 60h, est-ce que vous arrivez à l’imaginer ? Ca ne laisse le temps pour rien d’autre que travailler, tout le temps, encore et encore. Si un développeur bosse 80h par semaine, ça veut dire qu’il bosse 11h par jour 7 jour sur 7 sans compter le temps de transport, en gros qu’il voit ses enfants moins d’une heure par jour. Ca veut dire qu’il a pas le temps de faire le ménage, les courses, regarder un film, voir un médecin, faire du sport, sortir avec ses potes ou rendre visite à ses parents ou que sais-je. Il n’y a de temps pour rien. Rien à part travailler, encore, et encore, et encore, et encore, et encore.

    Alors, ouais, les couilles des chevaux réagissent au froid. Ouais, le monde est incroyablement réaliste. Oui, le jeu avait 10 ans d’avance visuellement à sa sortie. Oui, c’est un jeu devenue une référence absolue qui est encore largement comparé aux productions actuelles. Oui faut faire des sacrifices pour faire de grandes choses, bla bla bla. Et sinon, on peut aussi engager plus de gens quand on est l’un des plus gros poisson de la mare. Parce que, jusqu’où faut-il aller dans la démesure ? Et j’dis pas hein, j’suis le premier à vanter ses qualités, et même à faire une vidéo qui raconte en détail le travail des développeurs avec des tremolo dans la voix et des étoiles dans les yeux. Mais justement, au-delà de vouloir montrer l’incroyable créativité qui se cache derrière nos jeux préférés, mon but c’est aussi ça : raconter l’enfer qu’ont vécu des milliers de personnes pour que ces jeux voient le jour. Et c’est pas acceptable.

    Quand on nous dit :

    Les coulisses de Red Dead Redemption 2 avec Dan Houser co-fondateur de Rockstar Games

    Ben c’est des conneries. On peut très bien créer un chef d’oeuvre sans faire cravacher les gens comme des chiens. Sacrifier des détails insignifiants qui servent juste de coup de comm, comme les couilles des chevaux qui rétrécissent dans le froid, ça change rien à la qualité du jeu et personne n’aurait lapidé Rockstar sur la place publique si ça avait pas été dans le jeu. Évidemment que c’est le soin apporté aux détails qui donne à Red Dead 2 cette impression folle d’être totalement immergé au Far West, qui lui donne cette aura de jeu démesuré, mais Rockstar a su sacrifier le réalisme au profit du gameplay quand il le fallait. Alors, pourquoi ne pas le sacrifier au profit de la santé de ses employés ? Si faire un jeu exceptionnel équivaut à tuer au travail des milliers de personnes, va peut-être falloir qu’on redéfinisse nos attentes. Parce que pour moi, c’est pas exceptionnel. C’est juste atroce.

    Pour finir sur une note un peu plus positive, y a deux éléments à prendre en compte. Le premier, c’est que ces histoires ont fait tellement de bruit qu’elles ont contribué à amener le crunch dans le débat public. À l’instar de CD Projekt et Naughty Dog, les conditions de travail chez Rockstar ont poussé beaucoup d’organes de presse à en parler, ce qui a permis à beaucoup de joueurs de se rendre compte le sacrifices des créateurs derrières les jeux qu’ils aiment tant. Et c’est sans doute grâce à ça que ces conditions déplorables évoluent lentement mais sûrement. En avril 2020, Jason Schrier publie de nouveau un article sur Rockstar, déclarant cette fois que des changements étaient amorcés selon une dizaine de témoignages d’employés. L’entreprise prendre les problèmes à bras le corps en virant les éléments problématiques, notamment lorsqu’il s’agit d’harcèlement sexuel, et forme même ses managers aux bonnes pratiques managériales. Les directeurs ont annoncé vouloir minimiser au maximum le crunch en s’organisant mieux pour GTA VI. Mais ne crions pas victoire trop vite, car un article publié en mars 2024 raconte les inquiétudes des employés alors qu’ils sont désormais obligés de venir au bureau minimum cinq jours par semaine. Plus de télétravail donc, avec comme justification des besoins en sécurité primordiaux, d’autant plus après le leak d’un prototype. Au fur et à mesure que la sortie de GTA VI approche, la pression va sûrement grimper à vitesse grand V, et peut-être qu’en ce moment même, des employés sont revenus à leur vie d’avant où ils passaient 80h au bureau. L’avenir nous le dira.

    Chapitre 8 : Communication & Succès

    Après quatre ans de développement et des rumeurs grandissantes autour du jeu, Rockstar se décide enfin à communiquer dessus. Et bon, Rockstar, c’est Rockstar. Ils ont même pas eu besoin de montrer quelque chose pour casser internet.

    Parce que Rockstar maitrise parfaitement sa communication. Ils n’ont jamais fait de grosse annonces aux conférences habituelles comme l’E3, juste des annonces de portages. Enfin, c’est le cas maintenant, ça l’a pas toujours été. Apparemment, Rockstar bouderait l’E3 parce que GTA III a été moqué quand il a été présenté en séance privée durant l’édition de l’année 2000. Et à partir de là, Rockstar a décidé de boycotter tous les événements de jeux vidéo, exception faite de l’année 2005 où ils avaient un stand à l’E3. Depuis, toutes les annonces qui concernent leur jeux ont été faites via les constructeurs Sony et Microsoft.

    Faut dire qu’ils en ont pas vraiment besoin : avec un simple bandeau rouge et une image, le cours en bourse de la boite explose. Tout le monde devient fou, alors qu’on parle pas de GTA mais bien de la suite de Red Dead qui avait certes bien marché, mais reste très très loin derrière la série phare de Rockstar.

    Donc tout ça se passe le 16 octobre 2016. L’annonce est faites quelques jours plus tard, avec un trailer qui se concentre principalement sur les visuels et l’ambiance, et vraiment c’est juste sublime. Rien qu’avec cette petite minute, on sait que Rockstar est encore 10 crans au dessus du reste de l’industrie quand il s’agit de créer des mondes immersifs.

    Sans grande surprise, cette petite minute est l’aboutissement d’un travail démentiel. Ce trailer, comme ceux qui vont suivre, sont le résultats de centaines d’essais.

    On a probablement fait 70 versions, mais les éditeurs ont du en faire plusieurs centaines. Sam et moi, on a fait tous les deux beaucoup de suggestions, et les autres membres de l’équipe aussi. Dan Houser

    Petit détail quand même : l’annonce officielle du jeu ne mentionne pas la version PC, ce qui va engendrer la création d’une pétition signée par plus de 87 000 personnes, ce qui reste quasiment 10 fois moins que la pétition qui demandait la suppression de la chaine Youtube de Logan Paul. Peu de fans de Red Dead 2 ou beaucoup de gens qui détestent logan paul ? Je vous laisse juge.

    Après ça, le jeu va plutôt rester discret, jusqu’en début 2018 ou Rockstar annonce le report de la date de sortie. Initialement prévue pour le printemps 2018, il est finalement repoussé au mois d’octobre de la même année. Quand on sait que la motion capture a duré jusqu’à la fin de l’été 2018, oui ça paraît quand même très ambitieux d’avoir imaginé pouvoir le sortir aussi tôt. Et ce report, c’est aussi le signe que ça se passe pas très bien en coulisses. Mais ça comme on l’a vu, le grand public ne le saura que bien plus tard.

    Et malgré ce scandale, ça ne va pas empêcher le jeu d’avoir un gigantesque succès lors de sa sortie le 26 octobre 2018. Et quelque part, tant mieux, au moins les devs auront une bonne prime. A priori, très bonne même : en l’espace de trois petits jours, Red Dead Redemption 2 a rapporté la bagatelle de 725 millions de dollars à Rockstar. Même s’il reste derrière GTA V et son milliard de recettes atteint sur la même période, on peut aisément déclarer qu’il s’agit d’un véritable carton, dépassant même les 500 millions de Call of Duty Black Ops 4. Pour résumer, c’est le deuxième meilleur lancement d’un produit culturel, juste derrière le colosse GTA V. Et il ne va pas s’arrêter là : une semaine plus tard, le PDG de Take-Two déclare que le jeu s’est vendu à 17 millions d’unités, autrement dit plus que le premier Red Dead en 8 années de commercialisation. En fait, il devient rentable pour Rockstar dès décembre 2018, malgré un budget pharaonique estimé à 800 millions de dollars. En mai 2019, le chiffre grimpe à 24 millions, le faisant dépasser GTA IV. Sa sortie sur PC en 2019 va encore lui donner un coup de boost, et il va rapidement devenir l’un des jeux les plus vendus de tous les temps. Aujourd’hui, avec ses 67 millions de ventes, c’est le 7e jeu le plus vendu de l’histoire.

    Et bien sûr, au-delà de l’aspect commercial, la critique a été totalement dithyrambique. Les notes parfaites ou presque pleuvent de partout, la note Metacritic se hisse à 97, il est tout simplement considéré comme l’un des meilleurs mondes ouverts existant pour certains, l’un des meilleurs triple A pour d’autres. Opinion qui se retrouve aussi dans la tonne de prix qu’il reçoit, puisqu’il va récolter 175 prix du meilleur jeu de l’année, même s’il se fait battre de justesse aux Game Awards par God of War.

    Et donc, la question légitime qu’on se pose tous, c’est de savoir à quoi va ressembler la suite pour Rockstar. Bon, déjà, je pense qu’il faut vivre sur Mars pour avoir loupé l’info, mais GTA VI devrait sortir cette année, et il ne fait aucun doute qu’il va exploser tous les records. Et pourtant, entre Red Dead 2 et GTA VI, il y a eu d’importants changements chez Rockstar, notamment le fait que Dan Houser ait quitté le navire en 2020. Depuis, il a créé son propre studio, qui bosse sur un triple A monde ouvert bla bla bla. Rien de très surprenant vu le C.V du monsieur.

    Et Red Dead alors ? Qu’est-ce que la licence va devenir ? Bon déjà, on est plus ou moins sûr qu’un troisième opus verra le jour. Par contre, quant à savoir sa date de sortie ou son potentiel protagoniste, rien n’est moins sûr, même si les rumeurs vont bon train. Des bruits de couloir parlent d’une sortie aux alentours de 2030, ce qui me semble peu réaliste quand on voit le temps de développement des jeux qui ne fait que s’allonger. 5 ans, c’est le temps qu’il a fallu pour la motion capture sur Red Dead 2, donc s’il devait y en avoir un troisième, je parierais plutôt sur 2032 ou 2033, et ça c’est au bas mots si on prend en compte le suivi qu’il y aura sur GTA VI qui sera d’ailleurs peut-être repoussé. Bref, c’est pas demain la veille.

    Pour finir cette vidéo déjà beaucoup trop longue, j’aimerais vous laisser sur une réflexion qui m’habite depuis le tout début de la création de cette vidéo. La question sans doute la plus importante : qu’est-ce que c’est, Red Dead Redemption 2 ? Est-ce que c’est le plafond de verre du jeu vidéo de son époque, un jeu à contre-courant ou au contraire la culmination ultime de toutes les tendances actuelles ?

    Pour moi, c’est un OVNI. Pas un OVNI dans le sens où le jeu part dans un délire jamais vu, mais plutôt dans le sens où c’est un jeu infaisable dans un autre contexte. Il n’y a que Rockstar qui est capable de faire un truc pareil, et entendez moi bien quand je vous dit que c’est pas du tout une bonne chose vu la façon dont ils traitent leurs employés. Mais il n’empêche que c’est une réalité : quand CD Projekt a voulu jouer dans la même cour avec Cyberpunk 2077, ils se sont cassés les dents dessus. Oui maintenant le jeu est incroyable, mais on oublie pas que ça reste le plus gros taulé de l’histoire du jeu vidéo à sa sortie, un four si gigantesque qu’il est même arrivé jusqu’aux oreilles du gouvernement polonais.

    En fait à ce niveau de détail, on sort presque du jeu vidéo pour toucher quelque chose d’autre. Parce que les centaines de milliers de détails, 90% des joueurs ne les verront pas. Et si ça se trouve, même six ans après sa sortie, y a encore potentiellement des secrets non découverts. Mais alors, pourquoi ? Pourquoi créer des choses que les gens ne voient pas, ne savent pas ? Pour l’exploit ? Pour la fierté de dire : on a créé un jeu que personne d’autre n’est capable de faire ? Peut-être, et peut-être aussi que c’est ça qui est cool. Parce que l’art n’est pas censé avoir un but utilitaire, et c’est ça qui le rend beau.

    Personnellement, j’avais pas touché à Red Dead depuis 5 ans avant de le refaire pour cette vidéo. Et pourtant, certains souvenirs étaient encore vivaces. L’attaque du train, l’arrivée au premier camp, la soirée avec Lenny, la descente au manoir, l’arrivée à Saint-Denis, le braquage, l’ile de Guarma, l’annonce de la maladie, la lente descente aux enfers, la discussion avec la soeur, la lutte des Wapiti, la fin tragique d’Arthur… Bref, j’avais surtout des moments bien précis en tête sur la première moitié, et une atmosphère sinistre sur la deuxième. Mais finalement, c’est pas vraiment du scénario dont je me rappelle. Et c’est ça qui est fou à mes yeux, c’est que finalement l’histoire en elle-même est presque secondaire dans l’expérience que j’ai eu de Red Dead. Je me souviens de ces moments passés au camp à écouter les discussions, des événements aléatoires qui rendaient le monde si vivant, et justement quel monde ! Cette impression de vie grouillante, qu’il se passe toujours quelque chose dans un coin du monde, que ce soit un faucon en train d’attraper un serpent, des bandits en train de braquer un convoi ou même des simples fermiers au saloon. Je crois bien que c’est cette impression qui m’a le plus marqué dans mon aventure, parce que je n’ai jamais ressenti aussi intensément ce pouls qui confère cette sensation de réalité virtuelle.

    Et pourtant des jeux avec des mondes magnifiques, j’en ai fait des tonnes. The Witcher 3 est mon jeu préféré, les Assassin’s Creed sont certes discutables sur pleins de points mais leurs mondes sont magnifiques, Rapture dans Bioshock, les moult planètes dans Mass Effect, Les états-Unis très islandais de Death Stranding, les relaxantes promenades dans Skyrim, les Batman Arkham, Sleepings Dogs… Bref, j’en ai vu des tonnes et des tonnes. Mais celui-ci, il se différencie des autres. Sans doute par le cadre, parce que des westerns en monde ouverts y en a pas des tonnes, mais probablement surtout par ce sens du détail dont seul Rockstar a le secret. Et d’ailleurs, des secrets, ce monde en est rempli, et ça participe probablement à la fascination qu’il arrive à créer.

    Après, gardons quand même les pieds sur terre : Red Dead 2 est une expérience unique, mais pas que dans le bon sens du terme. J’ai pas eu de soucis pour la vidéo parce que je connaissais déjà bien le jeu et avec les mods l’expérience est simplifiée, mais je me souviens très bien avoir galéré avec les touches la première fois. Chaque action est tellement dépendante du contexte qu’on passe notre temps à regarder en bas à droite, histoire de pas flinguer le passant qu’on voulait saluer. J’avais aussi été pas mal frustré par les erreurs que je commettais par inadvertance, genre monter sur un cheval qui ressemble au mien et me retrouver avec la ville entière sur le dos alors que j’ai juste un peu trop forcé sur la bouteille au saloon. Beaucoup ont reproché au jeu d’être lourd, mais c’est pour moi le principe même du jeu : on joue pas un humain doté de superpouvoir, on joue un trentenaire un peu cabossé par une vie de fuite incessante. C’est normal qu’il ne court pas dans tous les sens, qu’il ne soit pas très athlétique, et que ça se ressente manette en main puisque c’était justement l’intention des développeurs.

    Par contre, là où je rejoins les critiques, c’est dans cet aspect semi-réaliste assez étrange. Pour reprendre l’exemple d’Arthur, il est certes lourd et peu agile, par contre il est capable de dézinguer des troupes entières d’ennemis tout seul. On peut se dire que c’est simplement pour rendre le jeu fun parce que les phases d’action seraient pas bien palpitantes avec seulement deux ou trois gus en face, mais c’est une critique qu’on peut généraliser à l’ensemble des mécaniques du jeu. Par exemple, on doit se rendre chez le coiffeur pour changer de coupe et ça dépend évidemment de la longueur de nos cheveux, par contre c’est fait instantanément. Pareil pour les magasins : on peut acheter en allant directement dans les rayons, par contre pas besoin de donner de l’argent au commerçant, ça sort instantanément de notre poche. On peut améliorer la relation avec notre cheval, mais on ne peut pas la diminuer même en lui tirant dessus. Bref, je vais pas dérouler toute la liste mais vous avez l’idée : autant je peux comprendre les limitations quand il s’agit d’éléments qui impactent durablement le jeu, autant je ne comprends pas pourquoi s’arrêter à mi chemin sur ce genre de détails.

    Mais ce n’est pas vraiment ça l’important. S’il y a bien deux choses qu’il faut retenir de cette longue vidéo, c’est que Red Dead 2 est un jeu exceptionnel au sens littéral du terme, mais au détriment de ceux qui l’ont rendu possible. C’est littéralement un des seuls jeux à proposer une simulation de cette ampleur, avec une minutie irréprochable ou presque, et à ma connaissance c’est le seul jeu vidéo qui dépeint l’Ouest américain avec autant de précision, que ce soit dans la façon dont la société s’organisait, dont les gens vivaient, ou même dans la représentation de l’idéologie qui supplantait les autres à ce moment-là. C’est un jeu d’une grande richesse, et bien au-delà de ses graphismes, qui étaient pourtant à la pointe en 2018. Bref, un jeu pas comme les autres. Mais on retombe toujours sur la même question : à quel prix ? Je le répéterais jamais assez, c’est pas antinomique de créer un jeu aussi ambitieux tout en respectant la santé de ceux qui lui donnent vie. Au contraire, c’est même vertueux et c’est aussi ce que nous tous, en tant que joueurs, devons revendiquer. Parce que le jeu vidéo peut être un art pour certains ou un divertissement pour d’autres, c’est avant tout une création. Et si nous, nous qui avons le pouvoir en tant que consommateur d’influer sur l’industrie, si nous ne respectons pas les créateurs, qui le fera ?

    Sources

    Contexte

    Écriture

    Personnages / acteurs

    Visuels

    IA

    Musique

    Crunch

    Communication

    Succès

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    26 nov. 2024
    14 min
    DonBear

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    Fondateur

    Sommaire

    1
    Prologue : Une histoire mouvementée
    2
    Chapitre 1 – I’ve got a plan
    3
    Chapitre 2 : Il était une fois dans l’Ouest
    4
    Chapitre 3 : Le bon, la brute et le truand
    5
    Chapitre 4 : What a wonderful world
    6
    Chapitre 5 : Nous ne sommes pas des robots, mais des êtres vivants.
    7
    Chapitre 6 : Quand la musique est bonne
    8
    Chapitre 7 : Le travail qui croustille
    9
    Chapitre 8 : Communication & Succès
    10
    Sources

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